Au printemps dernier, nous avions interviewé des acteurs de l’événementiel tels que des producteurs et des dirigeants de solutions de billetterie pour en savoir plus sur leur gestion de la crise sanitaire, des reports de représentation, des remboursements de billets… 10 mois après le début de la pandémie et des restrictions sanitaires, nous avons donc rencontré Frédéric Adam, responsable du pôle partenariats du festival Les Eurockéennes de Belfort pour faire le bilan sur l’année 2020.
Pouvez-vous présenter les Eurockéennes, l’histoire et votre mission au sein de son organisation ?
Les Eurockéennes est un festival créé en 1989, grâce à l’impulsion du président du conseil général de l’époque, Christian Proust, qui souhaitait créer un festival de rock et de musiques actuelles pour les jeunes. L’idée, c’était également de pérenniser l’événement afin qu’il devienne le phare de la communication du département. Les Eurockéennes aujourd’hui, c’est : un festival organisé sur une presqu’île naturelle protégée, 8,5 millions d’euros de budget dont 20 à 25% issu du mécénat et des partenariats, un savant mélange entre têtes d’affiches et groupes émergents, 35 000 personnes par jour pendant 3 jours tous les premiers week-ends de juillet, 4 scènes dont une sur l’eau, un camping gratuit qui accueille 15 000 campeurs par édition, 600 jeunes embauchés chaque année, une centaine d’intermittents et une cinquantaine d’associations qui gèrent le quotidien sur le festival… L’association Territoire de Musiques a été créée pour porter le festival et elle compte aujourd’hui 9 salariés permanents. Mon poste comprend des missions telles que la billetterie, les produits dérivés, la gestion des bars et la restauration, le partenariat et le mécénat.
La 31e édition des Eurockéennes aurait dû avoir lieu en 2020 : nous avons vécu de nombreux aléas en 32 ans de festival, avec des grèves ou des tempêtes, mais si on m’avait dit en janvier 2020 qu’on allait annuler le festival en avril à cause d’une pandémie, je n’y aurai pas cru… même si nous avions déjà eu une alerte il y a quelques années avec la grippe H1N1.
Revenons sur l’année 2020 : comment avez-vous réagi aux différentes annonces du gouvernement qui a réduit la jauge des événements au fur et à mesure jusqu’à l’interdiction ?
La gouvernance de notre association a été assez clairvoyante : nous avons ainsi senti que les choses n’iraient pas dans le bon sens dès le début du mois du mars et nous nous préparions déjà à ne pas organiser l’édition 2020. A ce moment-là, nous avons choisi la prudence et avons arrêté d’engager des frais importants. Néanmoins, nous étions engagés vis-à-vis des artistes, des partenaires, des prestataires et devions continuer à travailler, tout en étant suspendu aux annonces gouvernementales qui devaient donner le tempo de notre activité. Finalement, la décision que nous attendions a été prononcée par le Président Macron le 15 avril, ce qui nous a permis de nous positionner et d’annoncer l’annulation.
Comment avez-vous géré cette annulation ?
Il a déjà fallu encaisser le coup de se dire qu’il n’y aurait pas de festival cette année, c’est tout de même notre passion !
Puis, très rapidement, il a fallu “sauver les meubles”. Le festival est auto-financé à 94% et en avril, nous avions un déficit important avec 1,5 millions d’euros de dépenses. Dès l’annonce de l’annulation, le conseil départemental, la mairie de Belfort et le conseil régional ont maintenu leur subvention. Nous avons aussi actionné les leviers proposées, en mettant en place un dispositif d’activité plus ou moins partielle selon les postes et en sollicitant des différentes aides dédiées au secteur.
Ce qui a aussi fait la différence cette année, c’est nos mécènes. Plusieurs d’entre eux, petits ou grands, ont spontanément appelé pour faire part de leur souhait de céder tout ou partie de leur soutien financier. Ce qui a tout de même représenté le quart du budget total, soit plus de 300 000€ ! Et au delà du soutien financier, c’est avant tout le soutien moral de toutes ces entreprises partenaires qui nous a touché. C’est extrêmement précieux!
Comment s’est passée la gestion des remboursements des billets ?
Nous avons décidé de rembourser tous nos spectateurs : c’était le plus simple et ça s’est fait rapidement. A ce moment-là, on vendait 50% des billets sur notre site Internet, 20% via l’intermédiaire de CE et 20% sur les réseaux partenaires.
Nous travaillons avec Weezevent, ce qui nous permet d’avoir entièrement la main sur notre billetterie. Nous avons commencé à rembourser dès le 5 juin mais la moitié des festivaliers ont choisi de garder leur billets pour 2021. Nous avons reçu également quelques demandes de la part des festivaliers qui souhaitaient faire don du billet.
Et comment s’est passée la gestion de ces remboursements avec les réseaux partenaires ? Avez-vous proposé des avoirs ?
France Billet et Ticketmaster nous ont proposé l’option d’avoir, mais nous avons refusé et choisi de rembourser tous les festivaliers. Il fallait que ce soit très lisible et très clair ; nous n’avons même pas proposé aux festivaliers, qui avaient acheté leur billet sur ces réseaux, de garder leur billet pour l’édition 2021.
Comment abordez-vous la prochaine édition ?
Pour l’édition 2021, nous attaquons avec une opportunité artistique exceptionnelle avec Muse en tête d’affiche : on est prêts. Notre directeur Jean-Paul Roland a été à l’initiative avec quelques autres festivals de la tribune “Festival 2021 – Pourquoi on y croit !”, aujourd’hui signée par plus de 200 festivals. L’idée était de se dire que de toute façon, les autorités ne nous donneront pas le feu vert pour l’organisation des festivals avant longtemps. Il faut donc qu’on avance avec l’accord des artistes et le soutien de nos partenaires. Rien ne nous interdit de nous positionner !
Entre annonces de déconfinement/ reconfinement, nous avons attendu la bonne fenêtre de tir pour annoncer la quasi totalité de la programmation de l’été prochain, en décembre contrairement à avril d’habitude. Nous avons décidé de mettre en vente la billetterie à ce moment-là.
Pour l’édition 2021, vous avez donc choisi de commercialiser vos billets uniquement via votre canal de vente propre, sans l’aide des réseaux de distribution. Pourquoi ce choix ?
Le bilan de cette « édition 2020 », c’est que ça s’est bien passé : nous avons remboursé tous les billets et nous avons gardé contact avec nos revendeurs. Mais la question de la billetterie s’est posée. Avec aussi peu de visibilité sur la suite, nous avons décidé d’être pragmatique et prudent en gardant la main sur l’intégralité de notre fichier client. Si demain, nous devons informer les acheteurs de billets, nous pouvons désormais maîtriser complètement la chaîne.
Avez-vous proposé une assurance ticketing pour cette édition ?
Pas pour l’instant : nous voulions être le plus transparent et le plus clair possible. Lors de la mise en vente, nous avons expliqué que si le festival ne devait pas se tenir, nous allions rembourser tous les acheteurs. En revanche, si on propose une assurance, le public va penser que c’est cette assurance qui va les rembourser, alors que ça n’a rien à voir. D’ailleurs, nous proposerons une assurance ticketing, ainsi qu’une bourse aux billets dans les prochaines semaines.
Comment ça se passe de mettre en vente ses billets en pleine pandémie ?
La mise en vente s’est bien passée. Mais nous ne savions pas à ce moment-là comment le public allait réagir et hésitions entrer “ça va marcher, parce qu’il y a Muse” et “même avec Muse, le public n’achètera pas de billets sans savoir si le festival aura lieu.” Finalement, la soirée de dimanche avec Muse a été complète en une semaine : c’est le meilleur lancement de billetterie de notre histoire, dans un contexte flou et compliqué pour tout le monde. Ce qu’on retient, c’est que nous avons un public qui a répondu présent. Nous avons aussi des partenaires et des collectivités qui nous suivent et qui ont réaffirmé leur soutien et notre équipe est encore debout malgré tout : tous les ingrédients de l’organisation d’un super festival sont réunis. Maintenant, il va falloir faire les choses étapes par étapes.
Nous sommes très engagés et très attentifs pour la reprise. Notre directeur, engagés au sein du Prodiss (notre syndicat de producteurs) fait notamment partie d’une commission qui travaille, entre autres, sur l’organisation d’un concert « test » avec l’accompagnement de chercheurs et scientifiques.
Enfin, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la réalité du secteur billetterie et l’avenir de l’écosystème ?
Je n’ai pas de prétention à avoir une vision de spécialiste. Néanmoins, il est vrai que cette crise a été d’une très grande violence. J’ai été, à titre personnel, réconforté dans le choix de notre prestataire de billetterie, Weezevent, qui a été dans l’esprit Eurockéennes et a permis le remboursement des billets avec frais de locations inclus. Ils ont été à la hauteur, à l’écoute, ce qui nous a permis d’avancer sereinement.
La billetterie, quand ça fonctionne, on n’en entend pas parler, mais le jour où il y a des bugs, tu peux vite déstabiliser une organisation, et ça peut devenir très compliqué.
Quel est votre ressenti personnel sur la situation aujourd’hui en France ?
Personnellement, je trouve que certaines décisions sont injustes, même si je reconnais volontiers qu’elles sont extrêmement difficiles à prendre : le public ne peux pas se rendre dans une salle de concerts, dans les théâtres ou dans les musées (dans lesquels les mesures sanitaires sont plus strictes que dans un supermarchés) mais peut aller dans une église, un centre commercial…
Nous n’avons pas de garanties sur la suite et j’ai la conviction que le salut de notre filière passera par le vaccin. Quand les personnes seront protégées, on pourra à nouveau organiser des rassemblements. Avec nos partenaires, nous sommes à l’affut de toutes les opportunités technologiques qui nous permettront d’organiser les Eurockéennes de Belfort 2021 (organisation du camping, cabines de prise de température, passeports vaccination…)
De l’autre côté, je signale que cette crise sanitaire a marqué une mobilisation forte du secteur des festivals, en termes d’échanges et de rencontres virtuelles. Ces dernières ont créé des liens encore plus étroits avec certains collègues des quatre coins de l’hexagone. Et pour l’avenir, je nous souhaite d’être solidaire avec l’ensemble de la filière culturelle et artistique sur le territoire local et national.