Alors que la France continue de se déconfiner, le secteur du spectacle et des loisirs, et notamment les services de billetterie, sont encore en plein milieu de la crise. Pour commencer notre série d’interviews exclusives dédiées au secteur, nous avons rencontré Arnaud Averseng, président de France Billet. Il est revenu avec nous sur la chronologie de la crise vue par France Billet, a mis en lumière les différents processus internes mis en place pour répondre à la situation, et a répondu aux critiques de certains spectateurs et producteurs.
Comment avez-vous réagi aux premières annonces du gouvernement sur la réduction progressive des jauges puis l’interdiction des événements ?
Dès le début, j’ai été convié au Ministère de la Culture comme les autres membres de la filière. Et comme tout le monde, je n’ai pas eu de réponses immédiates.
Néanmoins, on se doutait qu’une interdiction totale des événements allait arriver, et en parallèle, le public a arrêté d’acheter des billets de spectacles, ce qui était prévisible.
Nous avons vu le cataclysme arriver, mais sans savoir combien de temps ça allait durer ni son ampleur. Ce qui a imposé la nécessité de prendre du recul sur la situation, de discuter rapidement avec les producteurs et les réseaux, pour agir tout de suite. En quelques jours, nous sommes passés d’une entreprise qui vendait des billets à une entreprise qui allait devoir industrialiser la gestion des reports, des annulations et des remboursements. Nous avions en parallèle démarré la migration de notre système informatique, ce qui a complexifié les prises de décision car cette situation va durer durant des mois.
Qu’avez-vous décidé de mettre immédiatement en place auprès de vos équipes pour gérer les premiers effets de la crise sanitaire ?
La première chose que France Billet a mis en place, c’est le Plan de Continuité d’Activité (PCA), pour que l’on puisse continuer à travailler, quoi qu’il arrive.
Notre deuxième action a été de mettre tout de suite à l’abri nos équipes, en télétravail. Nous avions déjà commencé à le mettre en place quelques mois auparavant, mais certainement pas à ce niveau ; en une dizaine de jours, nous avons complètement ré-adapté nos process, le management, la technologie pour que nos équipes soient d’abord et surtout en sécurité, et qu’elles puissent être opérationnelles et travailler de chez eux. Certaines personnes, qui travaillent pour des services très impactés comme la gestion des magasins, ont été mises au chômage partiel. Et encore aujourd’hui, certains services n’ont pas été réactivés, notamment les équipes liées à l’animation des ventes. Certains d’entre eux sont en renfort au service clients et nous avons une veille régulière sur l’activité.
Le confinement est ensuite vite arrivé, et avec, la fermeture de nos points de vente, ce qui a été un gros coup dur à gérer. France Billet possède un réseau particulièrement dense et complexe avec 1800 magasins et plusieurs milliers de partenaires. Ce qui fait notre marque de fabrique a été complexe à gérer pendant cette période et a demandé une coordination spécifique.
Encore aujourd’hui tous les magasins ne sont pas ouverts.
Comment avez-vous géré les reports et les annulations en masse d’événements ?
2,5 millions de billets sont concernés par un report ou une annulation : c’est colossal.
Et parce que nous avons un réseau complexe et que nos partenaires, sur le service client, ont mis en place des mesures de chômage partiel, notre service client a été particulièrement fragilisé au début de la crise. Nous avons tout de suite prévenu les producteurs, et nous avons dû mobiliser un maximum d’équipes très rapidement pour mettre en place de nouveaux processus.
Quels dispositif avez-vous déployé au niveau de votre service client ?
Au vu du nombre de billets concernés par des reports ou des annulations, nous avons très vite annoncé à tous nos clients via un mailing que les délais allaient être allongés sur plusieurs mois. En effet, nous devons d’abord récolter l’information sur un événement auprès du producteur (annulation, report, si oui, à quelle date, etc.), faire la coordination avec les points de vente, traiter les informations, prendre contact avec les clients… Au début, les producteurs étaient aussi parfois dans le flou avec des reports de dates précédemment annulés, des annulations de report, des reports de reports. Et il a fallu et faut encore tout synchroniser…
Nous avons donc décidé de centraliser tous les process de remboursement en créant une interface dédiée pour les spectateurs : https://annulation.francebillet.com/ Cette page a ouvert le 10 mai, et les premiers remboursements ont débuté 15 jours après.
Il nous en reste encore beaucoup à traiter, nous sommes mobilisés mais la réalité est que cette crise inédite nous a fortement impactée opérationnellement. Les magasins vont d’ailleurs pouvoir accueillir de nouveau les clients au guichet de billetterie, nous finissons les développements.
Quelles procédures avez-vous mis en place pour les avoirs ? Comment garantissez-vous que les producteurs retrouveront bien leurs spectateurs ?
Juste avant la mise en ligne de cette interface, l’ordonnance du 07 mai est parue pour faciliter la mise à disposition d’avoirs sur les billets. Cette annonce a allongé nos process. Nos avocats ont lu l’ordonnance et nous en avons discuté avec les producteurs. Nous n’en n’avions pas tous la même lecture ; il a fallu se mettre d’accord, et ensuite faire un arbitrage.
Nous avons dû de nouveau interroger tous les producteurs pour leur demander s’ils souhaitaient rembourser ou émettre des avoirs. C’est devenu une obligation légale de le proposer. Pour ces derniers, nous les avons prévenu qu’il fallait d’abord qu’on s’organise en interne, et que le délai serait rallongé. Le mail définitif expliquant le process sur les avoirs est parti il y a 15 jours. Désormais, dès qu’il y aura une annulation, le producteur devra nous dire s’il veut rembourser ou faire un avoir.
Si le producteur choisit l’avoir, nous lui envoyons une communication qui lui indique qu’il recevra une liste des spectacles du même producteur, et pourra choisir celui pour qui il dépensera son avoir via un code sécurisé. Il ne pourra pas dépenser cette somme sur l’ensemble du catalogue.
Pour les billets physiques, quels dispositifs avez-vous mis en place spécifiquement ?
Le billet physique représente aujourd’hui 40% de nos ventes. Nous avons reçu 60 000 courriers, et on en reçoit encore tous les jours !
Une spécificité supplémentaire concernant leur traitement :
Nous sommes obligés de demander au client le renvoi du billet, pour éviter, en cas de report, le marché noir ou encore des fraudes. Certains spectateurs peuvent trouver le traitement un peu long mais le nombre de courriers, à traiter manuellement, est colossal. Même la Poste nous a appelé pour qu’on vienne récupérer très vite les courriers entreposés chez eux ! Une équipe importante a été mobilisée pour l’ouverture de ces courriers et leur traitement. Nous devons aussi prendre en compte les mesures de distanciation physique, tout en gérant les disponibilités des équipes et trouver des renforts, etc.
Nous avons envoyé un mail à tous les clients pour qui nous avons l’adresse e-mail. Elles sont informées que le traitement va prendre du temps. Nous les invitons également à entrer leurs informations sur le formulaire d’annulation pour accélérer le traitement. Nous savons qu’il y a pu avoir des légers dysfonctionnements et des désagréments pour le public, mais il s’agit d’une situation complètement inédite…
Néanmoins, malgré tout ce travail, on a pu voir des plaintes de la part de spectateurs sur les réseaux sociaux, qui n’avaient pas eu l’information ou ne savaient pas comment fonctionnait le service. Que répondez-vous à ces critiques ?
Nous avons privilégié des réponses personnalisées : un mail a été envoyé à chaque client pour lui indiquer son numéro de transaction et son numéro de commande, afin qu’il puisse demander un remboursement sur la plateforme. Il y a eu une infime partie des clients qui n’avaient pas renseigné leur mail lors de l’achat en magasin, et nous les avons invités à se rendre en points de vente pour récupérer leurs informations directement.
Nous avons eu un raté parmi les centaines de milliers de mailing envoyé, qui a effectivement bien ébranlé notre image. Nous avons fait un erratum tout de suite. Mais dans l’ensemble, malgré cette crise inédite, beaucoup de choses se sont bien passées et nous aurons répondu à une majorité de clients d’ici peu.
Peut-être que nous aurions dû faire plus de communications sur nos réseaux sociaux, ça a peut-être manqué pour certains spectateurs. Mais nous avons décidé de faire au plus vite et au plus précis, vu la masse de billets concernés. Nous continuons d’améliorer notre communication tous les jours : nous venons de publier une nouvelle FAQ sur les remboursements, et nous mettons à jour quotidiennement notre page Informations COVID-19.
Certains spectateurs ont également noté que des spectacles, vendus également chez des réseaux concurrents, avaient été remboursés ailleurs, mais pas chez France Billet. Comment expliquez-vous ce délai ?
Par rapport à la complexité de notre réseau, et aux processus que nous avons dû déployer en fonction, nous n’avons pas été sur le même rythme que d’autres réseaux. Néanmoins, chacun a eu ses difficultés face à cette crise : au final, on ne peut pas dire qu’en cette période, les choses soient satisfaisantes.
Tout le traitement va durer encore des mois, c’est la seule vérité, et nous comprenons que les spectateurs soient impatients.
Selon plusieurs sources, France Billet aurait arrêté les paiements auprès des producteurs. Est-ce le cas ?
Non. Je n’ai pas connaissance de spectacles passés qui n’ont pas été payés. Lors des premières mesures de restrictions de jauge, beaucoup de producteurs ne nous ont pas informé de la tenue ou non de leurs représentations, et il fut nécessaire de faire le point avec tous les producteurs, et ce jusqu’à fin mars. Le temps de contacter tous les producteurs, ça a été long, mais il n’y a jamais eu aucune rétention de paiements.
France Billet demande désormais des délégations d’assurances complémentaires pour les acomptes de trésorerie (exceptionnels dans votre fonctionnement), qui permettent de garantir la récupération des sommes transmises aux producteurs. Pourquoi cette mesure ?
Tant que le spectacle n’a pas eu lieu, l’intégralité de la recette de billetterie doit pouvoir être remboursé aux spectateurs en cas d’annulation, et nous en sommes responsables. Nous avons toujours demandé des garanties aux producteurs. Demander une caution spécifique, nous permet, si l’entreprise devait faire faillite, de nous donner la possibilité de rembourser les spectateurs.
Sachant qu’aujourd’hui il y a un débat avec les assurances qui, pour certains, ne paient pas et n’assurent plus.
Nous avons demandé à deux reprises au Ministère de la Culture qu’il y ait un travail sur les garanties d’Etat, pour que les flux puissent recommencer à circuler, comme cela a pu être fait sur le cinéma. Nous n’avons pas cela sur le spectacle.
Quels sont vos axes de travail et de communication pour la reprise du secteur ?
Cela fait plusieurs mois que nous parlons avec de nombreux partenaires pour trouver de nouveaux produits et relancer l’activité : c’est un travail important, il faut réinventer la façon de faire. Nous travaillerons aussi à rassurer les clients, et leur donner envie de revenir voir des spectacles.
Cette réflexion s’inscrit dans notre plan stratégique, dévoilé l’année dernière, et qui prend tout son sens aujourd’hui : « Connectons nos émotions ». Les deux grands angles de cette stratégie sont le service client et la technologie, et depuis notre partenariat avec Eventim, nous faisons tout pour continuer à avancer dans le temps imparti que l’on s’était fixé.
Que retenez-vous de cette période inédite ?
Je pense qu’il faut rester humble dans cette situation ; c’est tellement inédit qu’il ne faut tirer dans les pattes de personnes et ne pas essayer de tirer profit trop hativement des opportunités.
Il y a eu des mécontentements, c’est quelque chose que l’on retiendra, mais il faut remettre en perspective ce qu’il s’est passé, la taille du réseau omnicanal et les contraintes liées à un confinement.
Cette crise est absolument inédite et nous sommes en plein milieu. France Billet, accompagné par la Fnac, a toujours été présent pour soutenir la diversité culturelle française et la diffuser à un large public. Demain, France Billet sera toujours là pour aider les producteurs et conquérir de nouveaux spectateurs. Nous aurons tous besoins des uns et des autres pour faire repartir l’activité et donner confiance au public pour fréquenter les salles.
Propos recueillis par Eddie Aubin