Catégories
Covid-19 Presse

[Presse] Le Club de Mediapart – Tribune de Matthieu Drouot : Non-Essentiel

To be or not to be, that is the question. Quatre siècles plus tard, la tirade d’Hamlet n’a jamais semblé autant d’actualité pour les professionnels du Spectacle Vivant. Être Essentiel ou ne pas l’être, telle est donc la question qui nous hante.

Au début de cette crise, lorsqu’un premier décret a interdit les rassemblements de plus de 5.000 personnes en lieu clos, je n’ai jamais imaginé que le Gouvernement Français puisse si vite non seulement interdire in fine l’ouverture des salles de spectacle, mais aussi carrément lancer cette remise en question Shakespearienne de la diffusion des spectacles en public et un appel à « se réinventer ». En parallèle, l’opinion publique a semblé s’accommoder facilement de ses restrictions et a même paru divisée sur la question. Dans un sondage du 11/12/20 pour France Info, seuls 56% des Français se disaient opposés à la fermeture des salles de spectacle, des bars et des restaurants. 

Cette défiance s’explique. J’ai dit un matin d’août sur la même antenne que l’on a laissé 20 millions de personnes voyager dans les trains de la SNCF l’été dernier, mais que l’on a interdit à 7.5 millions d’autres d’aller dans leur festival préféré. Nos rassemblements, malgré une croissance folle depuis 30 ans, n’attire encore qu’une minorité de Français. Le Spectacle Vivant moderne ne se reconnait pas dans la définition d’un divertissement facile et populaire comme il est de bon ton de l’y enfermer. C’est un mode de divertissement, bien au contraire, engagé et élitiste. Nos artistes, nos clients spectateurs sont les personnes les plus cultivées du monde occidental. Leurs déplacements à chacune de nos représentations sont un engagement personnel de leur part, presque politique. Pour écouter, pour voir, pour pouvoir dire : « J’y étais ! ».

Quand j’ai rejoint il y a bientôt 13 ans le bureau qu’a fondé mon père en 1986, je suis arrivé hardi comme jamais. Je sortais d’années de galère passées dans des classes à entendre des profs douter de moi, réclamer plus de moi. Que mon propre père, pour qui son travail compte si vigoureusement dans sa vie, me fasse part de sa confiance, cela voulait tout dire pour moi. Mais au vu des regards jaloux que je connais depuis le collège (« hey, tu peux pas avoir des invits ? »), cela m’a surtout amené à devoir faire mes preuves, à apprendre ce métier, à le comprendre, à l’améliorer aussi.

J’ai vu mon père, des années durant, faire son métier à contre-courant des croyances générales. Quand des confrères se définissaient avant tout comme des producteurs d’artistes, il se définissait comme un vendeur de billets. Quand eux laissaient des intermédiaires commercialiser leurs tickets avec un placement libre, lui commercialisait ses séances et numérotait les sièges. Parce qu’une place au premier rang et une place en fond de salle, ce n’est juste pas la même chose ! Mon père a été raillé durant toute sa carrière pour mettre en vente des places de plus en plus chères, en raison des investissements de plus en plus élevés que requéraient les tournées. A la surprise du Monde de la Culture avec un grand C, les spectateurs les ont achetés. Ceci pour une raison simple, le spectateur n’est pas le « Monsieur tout le monde » que le politique, les yeux rivés sur les chiffres d’une épidémie venue, drague pour son vote. Le spectateur est fidèle, érudit, passionné, il passe davantage de temps dehors qu’il ne regarde la télévision dedans. J’ai toujours été stupéfait de constater à quel point une campagne de spots TV permet de vendre si peu de billets pour un concert de rock, alors qu’une simple campagne d’affichage dans quelques rues et quelques stations de métro, peut générer un bouche-à-oreille qui va remplir une salle. Le spectateur est un caractère rare, parfois marginal dans un pays comme la France où la masse de la population a pris l’habitude de jeter ce qu’elle consomme aussi vite qu’elle ne l’achète et n’arrive même plus à écouter un album de bout en bout. Le public de nos concerts est capable de suivre ses artistes favoris sur la route durant des décennies. La passion du public pour un spectacle est atypique et celle des professionnels pour leur métier l’est tout autant.

Le 1er mars 2020, un dimanche frisquet, j’ai été gentiment convié par le Prodiss à assister Rue de Valois à une réunion de crise avec le Ministre de la Culture de l‘époque. Fermer, se réinventer, n’étaient pas encore à l’ordre du jour. Lire la suite >>

Source : Blog de Matthieu Drouot – Mediapart

Laisser un commentaire