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[Interview] “L’urgence est de redonner confiance et envie aux spectateurs, pas de faire un ‘grand soir’ sur l’avenir de la filière – Grégory Hachin, Directeur Général de Ticketac

Alors que la France continue de se déconfiner, le secteur du spectacle et des loisirs, et notamment les services de billetterie, sont encore en plein milieu de la crise. Pour continuer notre série d’interviews exclusives dédiées au secteur, nous avons rencontré Grégory Hachin, directeur général de Ticketac. Il est revenu avec nous sur la gestion de la crise sanitaire, a évoqué le sujet des avoirs et des remboursements, nous a donné sa vision de la filière et a révélé en exclusivité la refonte du site Internet de la marque. 

Comment avez-vous réagi aux différentes annonces du gouvernement, qui a d’abord interdit les événements de plus de 5000 personnes, avant de réduire la jauge au fur et à mesure ?  

Il y a eu 3 temps. Le premier, dans les jours qui ont mené au vendredi 13 mars, a été celui de la sidération. On pressentait un peu le mur qui arrivait, mais c’était tellement inédit que nous avons développé une forme de déni. Le second temps a été consacré à la gestion de la crise, avec à un effet ciseau terrible : d’un côté, les revenus se sont stoppés du jour au lendemain et de l’autre, il fallait gérer l’annulation de centaines de milliers de commandes, la saison du spectacle vivant battant alors son plein.  

Enfin, à partir de mi-avril notre troisième réaction a été d’anticiper la sortie de crise. On ne sait pas quand ça va arriver, on n’en connait pas encore ni les paramètres ni les conditions mais nous sommes tôt mis dans une dynamique de reprise en départ lancé. Celui qui redémarrera au moment de la reprise aura perdu. 

Et au milieu de tout ça, nous devons faire exister une marque et un service, au coeur d’une industrie à l’arrêt. 

Qu’avez-vous décidé de mettre immédiatement en place auprès de vos équipes pour gérer ces reports et annulations en masse ? 

Il a fallu réagir vite, en mettant tout le monde sur le pont, capitaine compris, pour accompagner nos deux parties prenantes (clients et offreurs) dans cet arrêt brutal. Cette gestion de crise représente des milliers d’appels et d’emails. 

En ces temps de crise encore plus qu’avant, nous avons la chance d’être soutenus par notre actionnaire, le groupe Figaro qui nous renouvelle son soutien et sa confiance. C’est une crise phénoménale et profonde, mais le marché va revenir, et la culture retrouvera sa place.

Concrètement, comment se traduit le soutien de votre actionnaire ? La presse n’a pas été épargnée par la crise sanitaire : a-t-elle aussi affecté le groupe Figaro ?

Le marché des médias souffrait déjà de difficultés structurelles, la crise les dégrade fortement. Le confinement a mis un coup de frein phénoménal aux recettes publicitaires et la distribution en kiosque a été fortement perturbée. Nous avons au Groupe Figaro des actifs forts et les abonnements digitaux ont connu une formidable croissance ces derniers mois. A court terme, la partition est complexe mais nous avons confiance en l’avenir.

Avez-vous dû mettre en place du chômage partiel pour vos équipes ? Comment s’est mis en place le télétravail ? 

Nous avons déployé le télétravail depuis trois ans mais bien sûr pas dans les conditions que le confinement nous a imposées. Nous avons appris en marchant, il y a eu une période de rodage, mais les équipes ont bien réagi et se sont adaptées.

Une partie des collaborateurs a été mise en chômage partiel pendant le confinement et nous le réduisons graduellement selon les périmètres de chacun. Les billetterie sont dans l’angle mort des dispositifs spécifiques de la filière : nous avons pu bénéficier des dispositifs étatiques transverses mais nous échappons malheureusement à tous les plans de soutien spécifiques à la filière. 

Selon nos sources, Ticketac aurait arrêté les remboursements aux spectateurs ces dernières semaines, et pour l’instant, n’a remboursé aucun spectacle, remboursé chez d’autres réseaux. Est-ce correct ? 

C’est absolument faux, les remboursements n’ont jamais été interrompus. Je ne cache pas qu’en plein milieu de crise, le délai de traitement s’est allongé, mais nous nous efforçons de maintenir ce délai en-dessous d’un mois et à ce jour, le volume de traitement a beaucoup diminué. 

Qu’avez-vous mis en place comme communication afin d’informer les publics tout comme les producteurs ?

Côté spectateurs, nous avons déployé trois séquences. D’abord, en push : nous avons largement communiqué dès le mois de mars pour prévenir les spectateurs des annulations et les informer qu’ils seraient contactés par nos équipes. Ensuite, nous avons privilégié le contact par e-mail, pour la gestion des reports, remboursements et avoirs. Enfin, nous avons lancé des campagnes téléphoniques par cohortes, suivies de relances email, pour inciter les spectateurs à reporter leur réservation ou acheter des billets sur de futures dates. 

Côté offreurs, nous avons dans notre ADN cette volonté d’être très proche des producteurs, et  avons renforcé cet accompagnement pendant cette période. 2 exemples : on a proposé aux ayant droits des captations de spectacle vivant de diffuser leurs vidéos au sein de dispositifs éditoriaux sur les sites du Figaro, avec pour objectif de faire rayonner les œuvres et garder le lien avec leurs publics. On a également mis en place des collaborations commerciales adhoc avec un producteur, une approche à 4 mains qui n’avait pas été encore été menée.

Vous avez mis des avoirs avant le décret du 7 mai, que les spectateurs peuvent utiliser sur l’ensemble de votre catalogue. Pour quelles raisons avez-vous choisi cette solution ?

Tout à fait : cette solution nous semblait et nous semble toujours la meilleure manière de concilier tous les enjeux : la satisfaction des spectateurs, les revenus futurs de la filière et nos enjeux de gestion de trésorerie. Nous avons toujours proposé les deux options, avoir et remboursement, et les clients ont choisi le premier en majorité. 

Lorsque le décret est arrivé, comment avez-vous ajusté les conditions sur l’avoir, entre ce que vous aviez déjà mis en place, et l’interprétation de ce texte, pas toujours simple ?

Le décret est arrivé un peu tard, un peu équivoque dans sa forme et probablement trop généraliste dans ses règles d’application. Le 7 mai, la majeure partie des cas étaient déjà traités et il n’est pas envisageable de changer la règle du jeu une fois que les avoirs ont été communiqués aux clients.

Sur le fonctionnement de ces avoirs, c’est difficilement compréhensible pour nos clients de se voir restreindre les possibilités d’utilisations d’un avoir à une seule salle ou producteur. Ce qui est vrai dans le sport l’est peut-être moins dans le spectacle vivant.

Mais je ne serai pas de ceux qui jettent la pierre au gouvernement. Ne tombons pas dans le piège de commenter les décisions prises pendant la guerre avec les connaissances d’après-guerre. Le moment venu, il nous faudra néanmoins regarder ce qui a fonctionné et ce qui doit être corrigé. Il est malheureusement probable que de telles crises sanitaires, économiques ou sécuritaires se reproduisent à l’avenir. Profitons de cette terrible expérience pour mieux nous préparer, mieux communiquer, mieux anticiper et réagir, chacun à nos niveaux. 

Vous proposez depuis déjà quelques mois de l’assurance ticketing. Avez-vous vu une augmentation de cette prise d’option lors des réservations comme lors des grèves ? 

Nous sommes la seule billetterie nationale à avoir cette promesse très forte de remboursement sans justificatifs. Les taux de souscriptions se sont envolés, et certains jours, 50% des paniers embarquaient l’assurance. Mais attention, les volumes de ventes sont au mieux de quelques centaines, très éloignés de ce qu’on devrait avoir sur cette période. 

Notre volonté d’être aux avant-postes du marché sur l’expérience et les services que nous apportons à nos clients. C’est pour cette raison que Ticketac était partenaire de la campagne “Mobilité & Spectacles” d’IDF Mobilités et cette promesse inédite de remboursement sans heurts s’inscrit pleinement dans la stratégie que nous poursuivons.

Certains producteurs nous ont fait part de soucis de facturation sur des spectacles qui n’ont pas été joués : est-ce exact ? 

Accordons nous sur le caractère tout à fait exceptionnel de cette crise, par son ampleur et sa durée. Qui avait anticipé un tel phénomène dans ses scénarios de gestion de crise ? Pas nous ! On a effectivement fait face à quelques retards de règlements auprès de certains offreurs et ces retards ont depuis été réglés. Nous avons eu du retard au démarrage, probablement comme d’autres, mais ça relève de l’exception. 

Que retenez-vous de cette période inédite, par rapport à votre fonctionnement en interne et celui de la filière ? 

Les industries culturelles et créatives, c’est 640 000 emplois et quelques 45 milliards d’euros de revenus. C’est une des principales filières de France et cela appelle beaucoup de recul et de réflexion sur les décisions à prendre. Je ne suis pas certain qu’il faille, comme on peut l’entendre, refonder l’ambition culturelle ou restructurer la chaîne pour se protéger des pure-players. Il se vend chaque année environ 200 millions d’entrées payantes en France (hors cinéma), il y a de la place pour tous.

L’urgence de la filière du spectacle vivant/culture est plutôt de redonner aux spectateurs confiance et envie de revenir dans les salles, pas de faire un “grand soir”.

Comment allez-vous communiquer à l’avenir pour rassurer les spectateurs et les producteurs sur la reprise ?  

Dans cette urgence de redonner confiance aux spectateurs, focalisons-nous chacun sur nos métiers. Chez Ticketac, le nôtre est de vendre le plus de billets possible au meilleur prix. On l’a plutôt bien fait l’année dernière avec +20% de croissance sur un marché presque stable. La stratégie de remontée en valeur et de premiumisation continue de porter ses fruits. Quand l’ASTP évoque un prix moyen d’une place théâtre à 28€, il est chez Ticketac de 38€. 

Nous avons un projet majeur lancé il y a près de 2 ans et qui représente un investissement colossal : la refonte de notre site. Dans cette optique de reprise, nous avons accéléré le développement, la sortie est maintenant prévue début juillet. 

Enfin, nous avons de beaux projets avec le groupe Figaro, pour permettre de vendre encore plus de billets et de générer toujours davantage de valeur. 

Ticketac avait déjà mis en place un dispositif de retargeting entre la billetterie et le média. Est-ce que ces projets s’inscrivent dans cette optique ?

Absolument. Après cette première étape, nous avons vocation à aller plus loin : le Groupe Figaro est dans une position unique en disposant à la fois de puissants écrins éditoriaux culturels et d’un site de e-commerce dédié aux sorties loisirs et culturelles. Nous travaillons avec les offreurs sur cette nouvelle proposition. 

Un dernier mot sur les dernières nouveautés de Ticketac ?

Nous avons effectivement été les premiers de notre segment de marché à proposer l’interfaçage temps réel, cette fonctionnalité qui permet notamment aux clients de choisir leur place sur un plan. Cette avancée est vertueuse pour nous et pour la filière, l’impact sur la valeur d’un billet moyen est significative et correspond à notre vision de premiumisation et service. Nous n’en sommes qu’au début.

Propos recueillis par Eddie Aubin

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