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[Interview] “La salle de concert de demain, c’est mon salon : le digital ne va servir qu’à recontextualiser une expérience humaine” Cyril Zajac, fondateur d’Omnilive

Depuis le début du confinement, pour pallier à l’arrêt des concerts et des spectacles, de nombreux artistes se sont produits en livestream, et avec cette nouvelle tendance, des outils ont émergés ou sont nés pour répondre aux besoins des publics et des professionnels. Pour continuer notre série d’interviews exclusives dédiées au secteur, nous avons rencontré Cyril Zajac, fondateur d’Omnilive, qui a détaillé son parcours, la genèse de sa solution, son partenariat avec Yurplan et sa vision du livestream. 

Pouvez-vous présenter Omnilive ? 

Omnilive est une solution de livestream vidéo online, qui s’appuie sur un lecteur vidéo interactif et multi-angles que l’on a inventé et breveté. Nous proposons une technologie innovante et unique en son genre, qui permet de laisser le choix de l’angle de vue à l’utilisateur final. Pendant un concert, si un spectateur, fan de guitare, ne veut que regarder le guitariste, c’est possible. Et s’il veut, il va pouvoir changer d’angle de vue, sur la batterie, le chanteur ou la foule, en fonction de ce que le producteur a éditorialisé. 

Comment vous ait venu l’idée de cette solution ? 

Je suis réalisateur, directeur de post-productions, monteur. Et surtout, je suis un grand fan de musique ; j’ai l’habitude de dire que je “mange” la musique ! A une époque, j’allais à beaucoup de concerts, et il se passait plusieurs choses. Mon premier constat, c’est que j’avais l’impression de ne jamais être au bon endroit, et vivre l’expérience sous plusieurs angles de vue me questionnait. Comme le réalisateur, qui a tous ces points de vue, et qui est libre de choisir sa perspective comme il le souhaite, je voulais avoir cette même expérience. 

Le second constat, c’est que j’avais envie de remettre en question la captation du spectacle vivant. Depuis l’invention du cinéma, seuls le producteur et le réalisateur décident de ce que tous les autres vont regarder. Et on a collé ces règles de l’audiovisuel à la vidéo sur Internet : or ce format nécessite une nouvelle construction grammaticale. Idem pour le spectacle vivant, qui est majoritairement construit dans un dispositif frontal à l’italienne, avec d’un côté le spectacle, de l’autre le public : cette disposition conditionne la captation. 

Tous ces éléments font qu’aujourd’hui les captations ou livestreams sont inadaptés à la consommation des utilisateurs, qui vont en conclure : le livestream ne marche pas. Or, ce qui ne marche pas, c’est l’expérience utilisateur. Avec Omnilive, nous revisitons cette expérience pour qu’elle soit en adéquation avec les usages des utilisateurs. 

Selon vous, quels sont les avantages d’une diffusion en multi-angles pour le spectacle ? 

Ce qui m’intéresse en tant que réalisateur, c’est d’aller chercher plusieurs points de vue. Or, chaque être humain se crée sa propre réalité, même si nous vivons dans des corps similaires, notre éducation et notre génétique nous font percevoir le monde de manière différente. La langue, les mots nous permettent d’échanger et de transmettre des idées, mais au final il est difficile de savoir si nous voyons le même rouge par exemple ! 

Au-delà de la frustration de ne pas voir tous les points de vue d’un concert, Omnilive permet de donner l’expérience du réalisateur à l’utilisateur final. C’est une valeur ajoutée monumentale. Cela permet aussi de recréer une expérience proche du présentiel : quand on va à un concert avec des amis, même si on était proches les uns des autres, on se rend compte à la fin qu’on n’a pas vu la même chose.

Donc selon vous, Omnilive permet de recréer les même sensations du live ? 

En tout cas, ça permet de retrouver des éléments qui font la forme du présentiel, ce moment unique où un spectateur va être en phase avec ce qu’il se passe dans la salle et pendant lequel il va pouvoir mettre son focus sur un élément en particulier.

Qu’est-ce qui fait la particularité de votre technologie brevetée ? 

Dans le métier, on dit souvent que le contenu est roi. Finalement, la technologie est ici au service de la narration : c’est l’expérience utilisateur qui dicte l’intégralité des développements que l’on fait chez Omnilive. Nous voulions un technologie qui disparaisse complètement au profit du contenu, pour proposer une expérience fluide et permettre à l’utilisateur d’être complètement dans l’émotion. Nous avons inventé un principe d’affichage graphique qui permet d’empacter un nombre indéterminé de sources multimédia que l’on délivre à l’utilisateur pour qu’il puisse changer d’angle de vue instantanément. 

Votre technologie propose également un rendu audio élevé et une qualité d’image très optimisée. 

Avec Omnilive, nous donnons jusqu’à 9 fois plus de contenus qu’un live classique, comme sur Facebook. Et en réalité, la limite technique se situe sur la taille des tuyaux que l’utilisateur va avoir chez lui. Nous sommes déjà en train de travailler sur la suite pour empacter 16 flux et les délivrer à l’utilisateur final : la 5G devrait nous permettre de le faire. 

Comment travaillez-vous avec les producteurs ? 

Je vais paraphraser un ami : il faut créer de la narration technologique. Certains clients viennent avec une demande simple : faire un livestream. Ils ne se posent pas toujours la question du contenu et des attentes de l’audience. Omnilive est un éditeur logiciel, mais on accompagne souvent nos clients sur la production exécutive. 

Ce n’est pas la même chose que de capter un concert avec  un dispositif classique, que de mettre des mini-caméras sur les instruments par exemple. Ce rendu-là, c’est aussi une prise de position artistique qui doit être pensée en cohérence avec l’univers de l’artiste. Il y a plein de possibilités créatives ! 

Quels sont vos conseils pour qu’un livestream soit donc une expérience enrichie, créative ? 

On ne remplacera jamais le cinéma, le théâtre ou même un concert. Mais c’est une vision très top-down : l’expérience utilisateur est délivrée par un groupe de personnes qui détient le pouvoir. Or Internet fonctionne en bottom-up : les communautés vont chercher des usages et s’organiser autour. L’idée c’est donc de revisiter la façon dont on imagine les événements, pas pour les remplacer mais pour créer une expérience bottom-up, dans laquelle l’artiste va avoir une place pour raconter une histoire. Cette histoire, il n’en est pas complètement maître d’ailleurs, c’est une expérience beaucoup plus hétérogène, dans laquelle il faut accepter un peu de risque, du partage, et la possibilité pour la communauté d’interagir en direct dans le contenu. Sur Twitch, c’est exactement ce qu’il se passe par exemple : ceux qui font des live sont à l’écoute de leur audience et engagent ainsi des conversations. 

Nous avons toutes les briques technologiques : il n’y a pas beaucoup de risque à prendre en tentant le livestream, à condition de se dire “on va créer une expérience qui n’est pas celle du concert.” Avec cette idée en tête, on est sur un terrain de créativité immense. 

Vous avez noué un partenariat avec la billetterie Yurplan, pour créer une offre de livestream monétisable : Yurplan.live. Pourquoi ce partenariat ? 

Cette rencontre est intéressante : Yurplan maîtrise le contrôle d’accès, nous créons une porte de diffusion, et en combinant ces deux expertises, nous créons une offre à valeur ajoutée. 

Le sujet à travailler désormais, c’est l’idée selon laquelle on ne peut pas monétiser de la vidéo, parce que l’expérience utilisateur n’est pas assez forte. Les GAFA se sont d’ailleurs appuyés sur cette idée pour utiliser la vidéo à leur propre bénéfice. C’est ce qu’on appelle l’UGC (User Generated Content) : les utilisateurs vont créer du contenu vidéo pour le mettre sur ces plateformes et ils en bénéficient parce que la plateforme a créé un réseau qui donne l’impression d’avoir créé une communauté. Mais finalement, est-ce que cette communauté  a de la valeur ? Je suis pas certain que l’expérience utilisateur apportée par les GAFA soit de haute valeur ajoutée. La preuve en ait, c’est qu’ils sont tellement bien installés dans leur système, que pendant cette période de crise, ils n’ont pas bougé leur position.

Avec Yurplan, on voulait donc créer un terrain dans lequel le producteur peut recréer une expérience à lui : il va produire un contenu, le mettre à disposition, choisir le prix de son billet. Au final, la valeur revient là où elle devrait être. 

Nous avons travaillé comme des dératés pendant plusieurs semaines, et en un mois, nous avions une offre disponible de bout en bout. Nous proposons aussi de la production exécutive avec des lieux partenaires et une couche supplémentaire, non négligeable, qui est de s’intégrer dans un système de redistribution des revenus encadré par la loi. 

Pour conclure, quel est l’avenir du livestream et de ce nouveau marché ? 

En France, on n’est pas gaulois pour rien : on aime bien attendre que le ciel nous tombe sur tête pour se remettre en question. A ma connaissance, il y a très peu d’initiatives qui ont été réalisées en France : on peut citer Shotgun Disdancing, l’initiative du cabaret Madame Arthur… Ces efforts sont plus que louables, mais on peut se poser la question à chaque fois de l’optimisation de l’expérience utilisateur. Je regrette qu’il n’y ait pas plus d’envie de la part des producteurs et d’artistes, qui souhaiteraient tenter des expériences de livestream en dehors d’un live en solo depuis sa cuisine ou sa cave !  Au niveau international, il y a de nouvelles choses qui arrivent et qui vont tout déboîter, comme ce que fait Epic et leur nouveau mode de jeu, Party Royal. Ça va être délirant ! 

Je ne vois pas de verrou technologique aujourd’hui : il y a des choses très intéressantes à faire en termes d’interaction, de gamification et de nouvelles relations entre artistes et utilisateurs. C’est un terrain de jeu génial pour peu qu’on s’y penche. D’ailleurs, je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de risque financier ; avec Yurplan.live, nous proposons un modèle économique. Et depuis le crowdfunding, si on ne tient pas ses objectifs financiers, on peut annuler l’événement. Et il y a moyen d’imaginer des dynamiques de top-sell et de cross-sell qui peuvent aller au-delà de l’achat de billet ou de merchandising. 

La salle de concert de demain, c’est mon salon : le digital ne va servir qu’à recontextualiser une expérience humaine. Par exemple, pendant la Coupe du Monde ‘98, j’étais dans mon salon avec des amis, et c’était une expérience mémorable ! Ce qui prouve bien qu’on peut vivre des émotions fantastiques à distance. Rien ne remplacera le concert, mais il est possible de faire vivre une expérience pleine d’émotions à des personnes qui ne sont pas physiquement présentes. 

 C’est un marché hybride : on va se servir du physique pour créer une expérience digitale, mais ces expériences peuvent être complètement antagonistes. Cette hybridation est intéressante pour les producteurs : dans un monde qui assume sa transition écologique, il va être plus compliqué de voyager. Il faut donc réinventer des modèles qui permettent aux artistes et aux utilisateurs de pouvoir continuer à se retrouver, à voyager ensemble, mais dans le digital. 

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