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[Interview] “Il y a une crise de confiance de la part des clients et des producteurs, qui va peut-être redéfinir la manière dont on fait de la billetterie en France…” – Matthieu Drouot, DG de Gérard Drouot Productions

Alors que la France continue de se déconfiner, le secteur du spectacle et des loisirs, et notamment les services de billetterie, sont encore en plein milieu de la crise. Pour continuer notre série d’interviews exclusives dédiées au secteur, nous avons rencontré Matthieu Drouot, directeur général de Gérard Drouot Productions. Il est revenu avec nous sur les événements de ces 4 derniers mois, sa relation avec les distributeurs et sa vision de la filière billetterie avec un seul mot d’ordre : il faut reprendre les concerts le plus vite possible. 

[Les propos tenus par Matthieu Drouot dans l’article paru le 17 juin 2020 sur MGB Mag n’engagent que lui et n’ont pas été corroborés par France Billet qui en conteste la véracité, un droit de réponse à été proposée au groupe Fnac Darty]

Comment avez-vous réagi aux différentes annonces du gouvernement, qui a réduit les capacités des salles au fur et à mesure avant d’interdire tous les événements ? 

Quand ces annonces nous sont tombées dessus, on ne s’y attendait pas. On savait qu’il y avait une épidémie en Chine et quelques cas en France, mais politiquement et un peu partout dans le pays, personne n’avait pris la mesure de ce qui allait se passer. On s’est peut-être senti immunisé ou pas concerné… Evidemment, on a vite été rattrapé par la réalité, c’est quelque chose qu’on ne pensait pas vivre, et on est tous un peu sonné par cette interdiction de rassemblement et par le confinement. 

J’ai plutôt mal pris la manière dont la culture et le spectacle vivant ont été mis sous cloche. Quand on a dit que les activités utiles à la Nation devaient être maintenues, sous entendu que les autres activités étaient inutiles, ça m’a beaucoup affecté. En plus, on a entendu beaucoup de choses, avec beaucoup d’informations données au compte-gouttes, et parfois contradictoires.

Quel est votre ressenti aujourd’hui, après un mois de déconfinement, sur la situation ? 

J’ai l’impression que l’épidémie est terminée. Sauf seconde vague, nous avons des concerts qui étaient complets et qui auraient pu avoir lieu cet été ! De la même manière que notre pays a mis 3 mois à se préparer face à cette épidémie et à comprendre qu’elle allait être très grave, j’ai l’impression qu’on va mettre 3 mois au moins à s’en sortir complètement.

Comment appréhendez-vous les différentes études qui parlent d’une seconde vague épidémique sur le dernier trimestre 2020 ?

Une vague épidémique peut arriver n’importe quand ! Les épidémies font partie de notre histoire, et au XXIe siècle, j’ai l’impression qu’on l’a oublié. Je ne vois pas pourquoi on devrait arrêter de vivre à cause d’un risque épidémique. Depuis 12 ans que je fais ce métier, je suis certain que des publics se sont rassemblés et que des virus plus ou moins virulents ont circulé. Est-ce que le risque actuel de propagation est une raison pour que les spectacles n’aient pas lieu ? Je ne le crois pas.

Pensez-vous que les mesures prises par le gouvernement ont été trop restrictives ?

Si le gouvernement avait été capable d’anticiper au mois de mars qu’un confinement tel qu’il a été mis en place, allait coûter 10 à 15 points de récession, je doute qu’il l’aurait fait. C’est mon opinion et je l’assume – notamment parce que d’autres pays n’ont pas usé autant de la peur qu’en France.

Concernant le spectacle vivant, on a rouvert les salles de spectacle, mais en créant une concurrence déloyale entre public et privé. Les institutions publiques se fichent d’avoir des sièges vides sur une séance, puisque que l’Etat paye, ce qui veut dire que tout le monde paye et donc au final personne. De l’autre côté, les établissements privés ne peuvent pas rouvrir dans ces conditions actuelles, et on se bat pour pouvoir le faire comme avant.

A votre avis, le gouvernement aurait-il dû laisser l’été pour préparer une meilleure reprise avec tous les acteurs du secteur, à la rentrée ?

Le gouvernement a d’abord préconisé une interdiction des rassemblements jusqu’au 31 mai mais a rétropédalé ensuite pour la réduire au 15 avril. C’était très fâcheux et a créé beaucoup de confusion. Depuis nous avons vécu toujours dans l’attente de nouvelles dispositions qui arrivent au dernier moment et cela été prolongé au 31 août.

Des rassemblements en août ont été interdits en avril et en mai : c’est une décision de panique, qui a été prise sur des recommandations de scientifiques qui ont tout dit et leur contraire. Et aujourd’hui, il faut rembourser des billets pour des événements qui auraient pu avoir lieu ! Je ne m’attends pas à un rétropédalage de la part du gouvernement sur cette date du 31 août.

Mais qu’on se le dise, au 1er septembre, toutes les salles de spectacle françaises doivent être ouvertes, sans mesure de distanciation physique. Il y aura probablement des mesures sanitaires à prendre pour protéger le public, mais la production et le stock de masques sont suffisamment  important pour ce que ce soit possible. Si ça peut aussi faire en sorte que les toilettes des salles deviennent propres, tant mieux… Et s’il y a une seconde vague en novembre, il y aura une seconde vague en novembre. Mais on aura au moins produit en septembre et en octobre ce qu’on peut produire.

Comment avez-vous géré chez GDP les reports et annulations des représentations, dès les premières annonces ?

Nous avons plus de 320 séances impactées et la majorité seront reportées.

Il y a encore des tournées (Kiss ou Lenny Kravitz) dont le report n’a pas été confirmé, parce que le contexte européen est complexe. Si j’ai pu donner des dates de reports, d’autres producteurs ou salles en Europe n’ont pas pu le faire. Ce travail est colossal, et ce n’est pas très fun… Ce qui nous motive dans notre métier, c’est de voir le public en salle avec le sourire. En ce moment, on fait tout le boulot sans ce résultat, et c’est un peu déprimant.

Avez-vous dû mettre vos équipes en chômage partiel ?

Un tiers est en chômage partiel, un tiers est à mi-temps, et un autre tiers travaille à plein temps pour travailler sur les reports, les contrats, la billetterie… J’ai aussi réactivé des personnes sur le marketing pour imaginer de nouvelles manières de communiquer sur nos spectacles de la rentrée. Il y a aussi une équipe dédiée à la gestion du risque et des sinistres : nous avons un contrat d’assurance clair comme de l’eau de roche, et nous sommes convaincus que nous serons couverts sur nos pertes d’exploitation et nos frais.

En avril, vous révéliez que votre assureur avait résilié votre contrat d’assurance. Où en êtes-vous sur ce point ?

Nous avons contesté la résiliation du contrat par notre assureur, qui s’est fait en plein confinement, alors que notre bureau était fermé et que la Poste ne fonctionnait pas à ses pleines capacités…. Le droit de retrait n’est pas acceptable en plein sinistre. Nous avons déjà envoyé toutes les réclamations de sinistres sur les représentations impactées et avons demandé les paiements : cela représente 16 millions d’euros. Nous n’avons pas de raison d’assigner l’assureur aujourd’hui, le dialogue a repris avec notre courtier. Mais si cela n’aboutit pas, nous serons contraints de les assigner en justice et nous sommes certains de gagner.

Comment gérez-vous la relation avec les publics sur les annulations, les reports et le remboursement des billets ?

Nous vendons directement nos billets sur notre site Internet. On nous écrit beaucoup sur les réseaux sociaux, qui sont beaucoup plus chargés que notre bon vieux standard téléphonique ! Nous essayons de répondre au maximum aux questions qu’on a et nous remboursons toutes les personnes qui en font la demande.

Comment se passe la gestion des remboursements des billets ?

Nous n’avons pas pu le faire pendant le confinement : les équipes en télétravail n’avaient pas le matériel de billetterie nécessaire. D’ailleurs, nous devons récupérer les billets avant de les annuler et d’effectuer le remboursement. Depuis le 11 mai, nous avons rouvert progressivement notre bureau, et nous traitons toutes les demandes.

Notre part de marché sur la billetterie peut représenter jusqu’à 25% selon les concerts, parfois même plus. Sur un concert comme celui de Peter Frampton à l’Olympia, nous avions vendu plus de 1000 billets dont 300 nous-mêmes, on en a remboursé aujourd’hui plus de 90%.

D’habitude, je regarde deux fois par semaine ce qui se vend, via notre solution de pointage Pims. Maintenant, je regarde ce qui se rembourse…

Avez-vous décidé de proposer des avoirs en plus de remboursements ?

Le système d’avoirs n’est pas très compatible avec GDP : nous produisons beaucoup d’artistes et de spectacles différents. L’avoir peut être utile pour un spectacle de longue durée, mais je ne me vois pas proposer un avoir sur une place de Queen & Adam Lambert, pour aller voir un autre concert, ça ne me paraît pas cohérent.

Avec vos partenaires de vente en billetterie, comment se passe la gestion des remboursements et des reports ?

Malheureusement, c’est plus compliqué. Ticketmaster a plutôt bien géré : même si ça appartient désormais à Live Nation, l’ADN de Ticketnet se ressent encore dans leur processus.

Néanmoins, il y a une vraie crise chez France Billet : je vois énormément de commentaires de clients, sur nos spectacles et ceux des confrères sur les réseaux sociaux, qui se plaignent de ne pas avoir de réponse, en commentaire ou par téléphone. On est au néant du service client. France Billet nous a averti que la plateforme de remboursement avait eu des soucis, mais que tout avait été remis en place : je n’en vois pas les résultats aujourd’hui.

Chez GDP, nous avons une position simple : cela fait trois mois que le confinement a été prononcé, un mois que le déconfinement a commencé, et comme les remboursements ne sont pas lancés, nous réclamons à France Billet de nous verser toutes nos recettes et nous gérerons nous-même les remboursements.

Nous avons des acomptes de billetterie avec France Billet, environ 2/3 nous ont été versés en amont : France Billet nous doit donc de l’argent et ne rembourse pas les clients. Et même pire que ça, ils nous demandent de renvoyer davantage d’argent, en expliquant qu’ils n’ont pas assez de trésorerie pour rembourser les clients d’une séance particulière. Sur la globalité des ventes de billets de GDP, France Billet a plus de 2 millions d’euros de trésorerie qu’ils pourraient pourtant utiliser ! Nous avons réclamé nos recettes, et ils ont 8 jours pour les verser. Certains confrères veulent assigner France Billet, et si je ne récupère pas nos recettes, j’en ferais de même. 

A France Billet de prouver qu’il est capable de rembourser : il y a une crise de confiance de la part des clients et des producteurs, qui va peut-être redéfinir la manière dont on fait de la billetterie en France…

Avec ce contexte, quel regard portez-vous sur le secteur de la billetterie en France ?

Ce qu’on a vécu et ce qu’on vit en cette période, c’est une crise de billetterie, puisque les billets ne se vendent plus. Le sujet des remboursements est important, celui de la relation entre un producteur et ses partenaires aussi.

Le public a besoin de sérieux et de professionnalisme de la part des revendeurs. C’est très grave ce qu’il se passe pour l’ensemble de l’écosystème : quand France Billet ne traite pas bien ses clients, c’est toute la chaîne qui est impactée. Le client ne fait pas forcément la différence entre les revendeurs, il va seulement retenir qu’il a acheté une place et qu’il n’a pas été remboursé. La situation crée une crise de confiance à tous les étages et il faut espérer que cela se résolve vite. Je crois que France Billet paie aujourd’hui des années de mauvaise gestion et ce qui est en jeu, c’est son avenir dans le spectacle.

On a vu depuis quelques années une tendance chez les producteurs, qui souhaitent retrouver en autonomie sur la partie billetterie. Vous avez fait le pari d’avoir votre propre canal de vente, quel bilan en faites-vous à cette période ?

Le marché a déjà beaucoup évolué, et depuis les années 90, plein de nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché. Par exemple, sur un concert de Queen & Adam Lambert à Bercy, tous les réseaux ont été abondés de la même manière sans aucune prévente : la salle a vendu 32% de billets, Ticketmaster 29%, GDP 21%, la Fnac (France Billet) 15% et See Tickets (Digitick) 2%. Mais ça dépend des séances, parfois la Fnac peut représenter 40% des ventes. 

Mais on ne commercialise pas toutes nos séances : il y a encore de vieux contrats en vigueur dans certaines salles, où même si c’est le producteur qui prend le risque, il n’a pas le droit de commercialiser son propre stock de billets. Ce modèle a vocation à changer, et chez GDP, nous demandons à toutes les salles avec qui nous travaillons de nous laisser gérer la billetterie. Cette crise met en lumière que la billetterie est un sacré métier, beaucoup plus proche, en termes de prise de risque quotidienne, de la production de spectacles que l’exploitation de salles.

En fait, le cœur de métier d’un producteur, c’est de vendre des billets, et la filière a laissé des intermédiaires s’en charger. La digitalisation a aggravé le phénomène. Dans l’idéal, il faudrait qu’il y ait, dans ce cas, un contrôle des recettes plus sérieux, et même qu’on nous achète les billets d’avance, même si je n’y crois pas trop. Le rapport de force s’est renversé : certaines salles et distributeurs ne versent les recettes qu’après que la séance ait eu lieu. 

Le versement des recettes après la séance est en effet lié à la nature du contrat avec le distributeur. Souhaitez-vous changer de contrat à l’avenir ?

Nos contrats ont plus de 15 ans, et on commence à les re-travailler, c’est un vrai besoin. Il y a un vrai problème philosophique aujourd’hui sur la propriété de la recette et des data, qui appartiennent, dans le cadre d’un contrat opaque, aux distributeurs et salles. Quand on a un peu de poids, on peut avoir accès aux datas et à des acomptes. Et je n’imagine même pas ce que doivent vivre des plus petits producteurs à qui on demande de tout avancer et de n’encaisser qu’en dernier…

Par rapport à ces avances de trésorerie, est-ce que France Billet vous a demandé une délégation d’assurance complémentaire ?

France Billet m’en a parlé il y a quelques jours, mais j’attends leurs propositions concrètes. Néanmoins, ma première réponse a été de dire : « ce n’est pas mon problème ». Si le distributeur veut se prémunir contre un risque, c’est à lui de le faire, France Billet ne co-signe pas mon contrat d’assurance quand GDP se garantit face à un risque.

Si un distributeur n’est pas capable de prendre les risques inhérents au spectacle vivant, il faut qu’il arrête ! En plus, ils ne prennent aucun risque, étant donné qu’ils n’achètent pas les billets au préalable. Les producteurs leur donnent un stock de billets, et sont payés au pire, après la séance, au mieux tous les mois. Mais en cas de problème, ils ont toujours de la trésorerie !

Finalement, n’est-ce pas un retour au contrat transparent, assez peu pratiqué en France ?

C’est en effet un modèle que je privilégierais. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi les distributeurs bénéficient d’un taux de TVA super réduit. C’est une mesure fiscale qui a été prise pour aider à la production de spectacles, et je ne vois pas pourquoi les distributeurs en auraient besoin. On va me répondre que sans ça, ils vont augmenter leur commission : mais si un distributeur arrive à vendre mes billets plus chers en augmentant sa commission, tant mieux pour lui ! Et si le public achète sur mon site parce que les billets seront moins chers, on ne pourra pas me le reprocher.

Il y a un équilibre à trouver dans cette relation. De gros risques pèsent sur les producteurs de spectacles, qui ne maîtrisent pas leurs recettes. Et je peux aller encore plus loin : quelles sont les garanties bancaires proposées par les groupes qui gèrent nos recettes et sont cotés en Bourse ? Qu’est-ce qui nous prémunit contre une perte de capitalisation de ces groupes, Live Nation, Fnac Darty, et la perte de nos recettes ? C’est peut-être un tableau un peu noir, mais c’est une réalité, et plus les distributeurs mettent du temps à nous payer, plus je m’inquiète.

Arnaud Averseng, président de France Billet, a répondu aux critiques dans une interview sur MGBmag.fr. Qu’en avez-vous pensé chez GDP ?

Arnaud Averseng a expliqué qu’il n’y avait jamais eu aucune rétention de paiement. Mais j’ai des acomptes du mois de février qui n’ont pas été soldés ! A lui de prendre la mesure du problème, et d’assurer un service de qualité à la fois du côté des producteurs, et du côté du public.

Avec l’interdiction des rassemblements, on a vu l’émergence des concerts en livestream, ou même en drive-in. Qu’en pensez-vous ?

(Soupir) – Je comprends le besoin de certains de faire du chiffre. Maintenant, je crois que ces solutions ne résolvent pas le problème. Je ne vois pas l’avenir de notre métier avec des artistes qui jouent devant des voitures, dans des salles à 90% vides ou en visio-conférence. Je peux voir l’intérêt de voir un concert sur un écran, pour revoir un souvenir, pour accompagner le spectateur, mais je ne vois pas comment proposer autrement le live qu’en live.

On a vu récemment un rapprochement entre live et gaming, avec notamment des performances au sein du jeu Fornite. Quel est votre avis sur ce phénomène ? 

Je peux voir ça comme de la concurrence ! Est-ce que des générations de gamins vont grandir sans le besoin de se rassembler de manière vivante et vont être satisfaits de se rassembler de manière virtuelle ? Je n’ai pas de boule de cristal et je ne sais pas comment les jeunes générations vont agir. Mais si le spectacle vivant a connu un tel essor depuis 20 ans, ce n’est pas juste en réponse au téléchargement qui a remplacé le CD. Les rassemblements répondent à un vrai besoin humain : je ne vois pas pourquoi ce serait remis en cause. 

Selon un sondage IFOP, 93% des Français disaient que les concerts leur manquaient, c’est positif ! Par ailleurs, un journaliste me disait récemment que le spectacle vivant, ça date de l’époque des Romains, et même avant ! Et ça a perduré à travers les siècles, dans des périodes de faste ou de crise. J’ai très peur que les politiques ou les responsables sanitaires arrivent à nous imposer en cette période de crise des mesures de distanciation physique qui empêchent demain de rassembler des gens.

On sait que l’échelle économique reste faible pour les producteurs, n’êtes-vous pas inquiets qu’une partie de la profession ne résiste pas à cette crise et ses conséquences, comme l’estime le Prodiss ? 

Je n’ai pas envie d’attendre janvier, et je reviens à ce que j’ai dit précédemment : pourquoi des festivals et des concerts qui étaient complets ne peuvent pas se tenir cet été ? Les hôpitaux peuvent prendre en charge de nouveaux cas, les stocks de masques sont prêts, nous sommes préparés en tant que nation à une reprise épidémique. On a besoin de reprendre rapidement, et j’ai l’impression que peu de monde le réclame… Je trouve que les artistes et le reste de la profession sont trop silencieux. Evidemment, tout le monde a eu peur, mais je pense que le public est plus résilient et a envie de sortir. Cependant, pour faire des spectacles il faut des artistes et des producteurs. J’ai pu voir que Live Nation avait essayé d’imposer aux artistes de travailler sans garanties financières, uniquement sur des pourcentages en fonction du remplissage : ça ne marche pas ! Un artiste ne peut pas s’auto-produire pour partir en tournée sans qu’on lui garantisse un minimum de revenus pour payer ses frais. Comme Live Nation opère des artistes de notre catalogue dans d’autres pays, nous sommes nous aussi exposés à perdre en France des tournées européennes par leur irresponsabilité. Heureusement, beaucoup d’agents en ont marre et cherchent des alternatives – notamment chez les indés – pour défendre leurs clients et arriver à reporter leurs tournées.

Comment vos artistes, notamment étrangers, vivent la situation ? Ont-ils des craintes sur la reprise des tournées par exemple ? 

Certains artistes n’ont pas reporté. Et pour ceux qui l’ont fait, on ne peut leur assurer à aucun qu’on sera sold-out l’an prochain. Évidemment, ils sont tous inquiets. Notre filière dépend pour beaucoup d’une frange d’artistes âgés, populaires à l’après-guerre et qui continuent de faire recette. Quand les grands noms d’hier et d’aujourd’hui ne tourneront plus, ce sera un problème pour GDP et pour tous les autres producteurs. Nous travaillons évidemment avec des artistes plus jeunes en développement, mais ils ne remplissent pas des stades. Si on doit collectivement passer d’un business de stades et d’arenas à un business de clubs ou de théâtres, c’est un autre marché. Et c’est peut-être là que les distributeurs vont dire que ça ne les intéressent plus… Je ne sais pas ce qu’il va se passer, mais il faut rassurer le plus possible tout le monde. Et c’est au pouvoir public de faire cette démarche… 

Que retenez-vous de cette période inédite ? 

Ce n’est pas fini encore ! C’est la première fois en 15 ans où je ne suis pas allé à un seul concert en trois mois. Mais sur une bonne note, j’ai confirmé un concert de Kimberose le 24 juillet 2020 à Narbonne et j’espère qu’on va en avoir d’autres. 

Ce que je retiens, c’est qu’on a vécu la prohibition pendant un trimestre, tandis que d’autres activités n’ont pas été mises sous cloche. En quoi, faire un trajet Paris-Lyon en TGV pour un rendez-vous professionnel est-il plus important qu’un concert à l’Olympia ? On va me dire que les gens ont besoin d’aller travailler, mais le spectacle et la culture sont autant importants, peut-être même plus ! Que serait la France sans Piaf, sans Aznavour, sans Gainsbourg ? Nous sommes un pays avec une histoire fabuleuse et qui a besoin d’un avenir. La seule chose à faire désormais, c’est de nous permettre de refaire des concerts, sans distanciation physique : ce n’est pas un avenir pour notre métier que de tuer l’espace en salle. Si les salles doivent être vides, c’est au public d’en décider, pas au Gouvernement, et nous nous efforcerons toujours d’éviter cela. Le Gouvernement lui doit s’efforcer d’améliorer les lacunes de notre système de santé, c’est là qu’il est attendu.

Propos recueillis par Eddie Aubin

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