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Communiqué de presse Covid-19

[Communiqué] Etat d’urgence pour la diversité musicale

Par Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique

Après les attentats, les gilets jaunes et les grèves – phénomènes de natures complètement différentes, cela va de soi – , le monde du spectacle, et tout particulièrement celui de la musique, est frappé par une crise dont les conséquences menacent d’être dévastatrices.

Depuis le début de mois de mars, des milliers de concerts en tous genres ont été annulés, dans les salles de concert partout en France, les festivals, les zéniths, les cabarets, les clubs de jazz ou les opéras. Les études menées par le CNM évaluent le manque à gagner pour l’ensemble de la filière, y compris la musique dite classique, aux environs d’un milliard d’euros. Les conséquences directes sont évidentes : annulation ou non-signature de contrats avec des producteurs, des artistes, des techniciens, des fournisseurs, chômage partiel pour ceux qui le peuvent…

La plus grande partie des acteurs de la musique, quel que soit leur statut, entreprises ou associations, sont des TPE/PME : près des deux tiers des concerts données chaque année en France sont accueillis dans des salles de moins de 200 places. Leurs marges sont faibles, voire négatives, et le risque que beaucoup ne passent pas le printemps est très fort. C’est pourquoi, en complément des mesures déjà annoncées par l’Etat, le Centre national de la musique a décidé de consacrer sans attendre tous ses moyens, 11,5 M€, à une réponse d’urgence, avec l’aide de la SACEM, de l’ADAMI et de la SPEDIDAM. Notre fonds de secours, immédiatement actif, n’a pas d’autre objectif que de commencer à aider ces entreprises face à leurs difficultés de trésorerie et les premières aides arriveront sur le compte bancaire des bénéficiaires moins de trois semaines après leur demande, dès la semaine du 9 avril. Ce fonds a vocation à s’élargir aux autres acteurs de la musique pour manifester la solidarité de l’ensemble de la filière, qu’il s’agisse de spectacle ou de musique enregistrée. C’est le sens de l’initiative prise par Spotify de contribuer à ce fonds, parallèlement à un appel au public ; nous travaillons en ce moment même pour que d’autres acteurs viennent s’engager.

A l’évidence, pourtant, cela ne suffira pas.

Au-delà des menaces de faillites, c’est l’existence même de tout l’écosystème du spectacle qui est en jeu. Il repose en partie depuis quelques décennies sur une taxe sur la billetterie dont l’essentiel du produit – environ 35M€ – est reversé aux entreprises. Il est certain que ce dispositif ne résistera pas à l’arrêt de toute activité qui se traduira par un effondrement des recettes de billetterie, donc des recettes de la taxe et, enfin, par la disparition des moyens de produire les spectacles de demain.

La France a la chance de disposer encore d’un tissu musical extrêmement riche, grâce à l’action volontariste des pouvoirs publics et, surtout, à la passion et à la capacité d’innovation et d’adaptation des professionnels. Tout cela risque d’être balayé par la crise actuelle. L’équilibre fragile où cohabitent une grande diversité de propositions artistiques et esthétiques et des modèles économiques divers, pourrait s’en trouver irrémédiablement bouleversé.

Le risque est grand qu’à la faveur de la disparition des acteurs les plus fragiles, le paysage musical se retrouve polarisé entre une économie de survie, pour ne pas dire de débrouille, et une proposition uniformisée circonscrite à une approche consumériste autour des grandes métropoles ou de quelques festivals. Des artistes, connus ou non, jetteront l’éponge et chercheront à gagner leur vie autrement que par leur art. En d’autres termes, nous risquons de créer des déserts musicaux, en particulier pour le jazz, la musique classique et les musiques du monde. Au-delà du seul spectacle, toute l’économie de la musique, y compris la musique enregistrée, est touchée. Si les lieux de rencontre entre les artistes et le public disparaissent, la diffusion des œuvres, y compris numériques, s’étiolera progressivement. Ce n’est pas de la politique fiction. C’est peut-être demain.

Alors si, collectivement, nous ne voulons pas que des décennies de travail, de création et de structuration de l’offre musicale partent en fumée, il faut, très vite, préparer l’après-crise et passer à la vitesse supérieure. Permettre aux productions de redémarrer, aux tournées de s’organiser, en France – métropole et outre-mers – comme à l’étranger, passer des commandes pour de nouvelles œuvres… tout cela va nécessiter des moyens publics considérables que le Gouvernement et le Parlement devront mobiliser dans les tout prochains mois. Le Centre national de la musique est là pour accompagner la filière, pour définir une stratégie globale et ambitieuse pour la filière musicale, bien au-delà de l’urgence, en concertation avec les professionnels et pour convaincre l’Etat, les collectivités territoriales, les entreprises, des mécènes sans doute, de se mobiliser fortement pour sauver un pan entier de notre vie culturelle de demain.

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