Cet article, écrit par Gary Sinclair, a été publié en anglais sur le site theconversation.com. Ces propos, traduits par la rédaction, n’engagent pas MaGestionBilletterie.com.
Ceux qui sont allés au festival de Glastonbury au mois de juin dernier ont du débourser 228£ (plus 5£ de frais de réservations) par billet pour avoir ce privilège, et beaucoup d’entre eux ont dépensé au moins autant sur place. Aujourd’hui, les festivals de musique sont souvent associés à des dépenses importantes de la part des spectateurs.
On ne peut pas en dire autant des festivals comme Woodstock ou Glastonbury dans les années 70-80. Woodstock était (presque) gratuit, et la première édition de Glastonbury affichait des billets à 1£. En 1989, le billet avait augmenté jusqu’à atteindre (seulement) 28£. De plus, ces festivals ont non seulement exporté des images de fête et de musiques devenues cultes, mais se sont également positionnés dans l’imaginaire collectif comme des moments de résistance politique et de changement social.
Alors que les concerts sont de plus en plus importants au niveau économique dans l’industrie musicale, et que le nombre de festival ne cesse d’augmenter, cet aspect révolutionnaire de la musique est en plein déclin. Des images importantes et puissantes, comme Jimi Hendrix protestant contre l’impérialisme américain avec un solo de guitare, sont complètement édulcorées, passées. Aujourd’hui, les festivals sont infusés de messages commerciaux, et on peut même dire que le fait d’aller à des concerts n’a plus rien à voir avec la contre-culture.
Ce nouvel aspect n’a cependant pas empêché les consommateurs de musique de continuer à se rendre à des concerts. Ni même d’empêcher les festivals de se positionner comme des hauts lieux de consommation éthique et de responsabilisation aux causes sociales. Cependant, il semble que cette promesse n’attire pas les spectateurs, les faisant même fuir.
Positionner son festival ou son concert comme responsable et éthique est effectivement avantageux, surtout dans un secteur d’activité déjà bien rempli. (1 070 festivals ont eu lieu au Royaume-Uni en 2015). L’authenticité souvent associée aux festivals dits « éthiques » est particulièrement attirante pour les amateurs d’arts et de musique. Et mettre en avant l’aspect éthique ou social d’un produit est aujourd’hui une pratique courante dans le marketing.
Des sons sensibles
En s’éloignant du marketing, et du point de vue très cynique qui va avec, la musique et l’art en général sont souvent imaginés comme étant des puissants moteurs de message de causes sociales. L’histoire de la musique nous le montre : au XIXe siècle, Jenny Lind, le chanteur d’opéra, donnait quasiment l’intégralité de ses cachets à des œuvres de bienfaisances, et en 1984, le groupe Band Aid été créé pour lutter contre la faim et la pauvreté dans le monde. Ces exemples montrent le pouvoir des événements musicaux pour appeler aux dons et éveiller les consciences à des problématiques sociales.
Cependant, une question reste rarement posée : qu’est-ce que le fan/consommateur de musique pense de l’usage de concerts pour promouvoir des causes sociales ? La musique est-elle un moyen de communication approprié pour de telles causes ?
J’ai tenté de répondre à ces questions avec mes collègues Todd Green (Brock University), Julie Tinson (Univerity of Stirling) dans un papier publié récemment. Nos recherches ont montré que les fans de musique ont des niveaux de sensibilisation, d’intérêt et de soutien plutôt incohérents en ce qui concerne l’engagement dans des causes sociales de l’industrie musicale.
Nous avons conduit 22 entretiens qualitatifs d’une cinquantaine de minutes avec des festivaliers, de tout âge, genre et catégorie sociale, originaires de plusieurs villes au Royaume-Uni et en Irlande. Plusieurs d’entre eux sont capables d’identifier des artistes ou des événements « socialement responsables » comme Bono ou Glastonbury, mais très peu sont en mesure de dire pour quelles causes ces artistes ou événements sont engagés ou quels sont organismes de bienfaisance qu’ils soutiennent.
Il apparaît également que les participants ne font attention à l’aspect éthique et social des concerts que si cette donnée impacte directement leur expérience. De plus, si l’aspect éthique, responsable, social de l’événement est un facteur important pour les festivaliers, le prix, la qualité de la musique et la commodité du lieu sont jugés comme étant des critères plus importants.
Sans attaches
Ces résultats ne sont pas étonnants, mais ce qui est très surprenant, c’est le mépris de la part de la plupart des festivaliers par rapport à l’engagement social des festivals. En effet, pour beaucoup de participants, cet engagement est perçu comme un élément qui interfère avec leur temps de loisir, et diminue leur expérience de l’événement. « Ne faîtes pas une conférence sur la politique au Moyen-Orient alors que tout ce qu’on veut, c’est danser », est une réponse typique.
Une des remarques plausibles concernant notre travail de recherche concerne notre échantillon : nous n’avons pas choisi des personnes particulièrement intéressées et/ou engagées dans des causes sociales. Cependant, ce même échantillon considère qu’il est important d’acheter et de produire des produits du quotidien éthiques. Cet élément contredit l’hypothèse qu’associer un message éthique à un produit/service de plaisir est plus efficace que de l’associer à un produit/service utilitaire.
Pourquoi donc ce résultat alors ? Notre déduction : la pression sociale sur notre façon de vivre qui doit être éthique et en accord avec des valeurs civiques et responsables continue de s’accentuer. Il faut toujours manger mieux, acheter mieux et penser à son prochain, et au quotidien. Et les concerts et festivals sont perçus comme des espaces où l’on peut échapper à son quotidien et son lot de pressions, même sur le plan éthique et civique.
Ce résultat soulève donc des questions sur la communication des festivals (où la tendance « green » est déjà bien installée), et notamment sur le rôle des événements dans la promotion de causes sociales.