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Interview croisée Nuits Sonores et Shotgun : Retour sur leur gestion de crise

Plus de 8 mois après le début de la pandémie, nous avons voulu revenir sur la crise vécue de l’intérieur par deux acteurs de la scène événementielle. Nuits sonores, festival majeur des musiques électroniques en France, et Shotgun, billetterie exclusive du festival. Ensemble ils ont du réagir, s’adapter et pensent aujourd’hui à l’avenir dans un contexte toujours incertain. Interview croisée de Alexandre Didier, Coordinateur billetterie et médiation publique chez Chez Arty Farty, l’association organisatrice de Nuits sonores, et Romain Dugier, co-fondateur de la solution Shotgun.

On vous connait bien, mais juste pour le plaisir pouvez-vous nous présenter à nouveau vos 2 structures en quelques mots ?

Shotgun : En quelques mots l’exercice est un peu compliqué 😉 Mais on pourrait s’accorder sur le fait que Shotgun est une billetterie basée sur une double approche B2B et B2C. D’un côté une suite d’outils pro donnant autonomie et sécurité aux producteurs, de l’autre un ensemble d’interfaces B2C qui répondent aux nouveaux usages de consommations événementiels. Le tout construit dans la même vague de nouvelles technologies que celle qui a servi de base à la plupart des plateformes dernière génération (Uber, Deliveroo, Airbnb, Netflix…).

Nuits sonores : Arty Farty est une association lyonnaise, sans but lucratif, qui a fêté ses 20 ans l’année dernière et qui coordonne notamment European Lab, Hôtel71, We Are Europe, Heat, Le Sucre et donc Nuits sonores : un festival de musiques électroniques et indépendantes, en plein coeur de Lyon, qui a accueilli plus de 250 artistes et 140 000 spectateurs en 2019 pour sa 17ème édition, dans une quarantaine de lieux, notamment des sites patrimoniaux et friches industrielles. C’est un festival qui se veut urbain et évidemment convivial, à la programmation exigeante et défricheuse, avec la mobilisation d’une grande partie des acteurs culturels locaux. 

Vous étiez en pleine campagne de vente pour l’édition 2020 de Nuits sonores quand la pandémie est survenue. Quand on est une billetterie, comment on gère les premiers moments de cette situation de crise ?

Shotgun : Je me souviens de la première annonce d’interdiction de tous les événements publics, générant chez nous une avalanche d’appels de nos clients qui demandaient ce qu’il était possible de faire et ce qu’on recommandait. On s’est tout de suite montré rassurant sur la partie technique car nos technologies sont capables de gérer des remboursements massifs et personnalisés sans temps de latence. On s’est donc rapidement concentré sur le côté humain de la gestion de crise en co-construisant avec les producteurs les solutions qui leur correspondaient. Dans cet esprit, on a imaginé à titre d’exemple avec Alexandre Didier un dispositif spécifique pour Nuits sonores.

Quand on est un grand festival comme Nuits sonores ?

Nuits sonores : Il était important pour nous de ne pas se précipiter et de rester réalistes dans nos annonces, que ça soit pour 2020 ou pour la suite. Nous avons dans un premier temps stoppé les ventes et adapté notre communication à la situation puis tenté un report du festival. Nous avons tout mis en œuvre pour proposer une édition en 2020 mais en dehors de la difficulté sanitaire, s’est posée la question des disponibilités des lieux, des prestataires et des artistes. Après un premier report de mai à juillet, nous avons décidé de définitivement reporter le festival à 2021, avec toutes les conséquences budgétaires que cela implique. Nous avons essayé d’être le plus transparent possible auprès de notre public et de nous imposer un calendrier pour nos prises de paroles. Et évidemment, en parallèle, nous étions en contact quasi quotidien avec Romain Dugier chez Shotgun pour imaginer et proposer un dispositif billetterie cohérent à notre public.

Concrètement, qu’avez-vous mis en place pour gérer cette situation ?

Shotgun : Nous avons mis en place une suite d’outils permettant une gestion complète des procédures de reports / remboursements adaptables aux spécificités de chaque festival. Cela se fait en deux temps : la mise en ligne d’un formulaire de recueil d’informations, et le traitement de ce formulaire quand le producteur nous donne le feu vert. Au final, selon les choix que le producteur propose à son public, un même formulaire peut recenser des milliers de réponses différentes combinant bons d’avoirs, dons partiels ou totaux, remboursements partiels ou totaux, reports de billets… et être traité en un seul coup par notre plateforme, généralement en moins d’une heure. Chaque festivalier reçoit instantanément un mail automatique et individuel lui confirmant la bonne exécution de l’opération qu’il a choisie.

Avez-vous utilisé ces outils ? Qu’avez vous pensé du dispositif général Shotgun ?

Nuits sonores : Oui c’est ce que l’on a fait. Très vite, nous nous sommes rendu compte de l’impossibilité pour nous d’opter pour un report classique des billets 2020 en 2021. Notre armature et l’offre tarifaire qui en découle sont trop complexes pour nous le permettre. Nous avons d’ailleurs vu lorsque nous avons tenté de reporter le festival de mai à juillet que, même si l’intégralité des artistes avaient répondu présent, ce n’était pas forcément sur les mêmes événements, ou sur les mêmes jours. C’est comme ça que nous sommes arrivés à l’idée du bon d’achat (avoir) et nous avons donc coécrit un formulaire avec Shotgun proposant les différentes options possibles (remboursement ou avoir, avec à chaque fois la possibilité de faire un don à l’association). Ensuite, en effet, les réponses ont été traitées de manière très rapide et nous n’avons pas eu de retour négatif des festivaliers, c’est généralement bon signe.

Tout ce qui avait été annoncé dans notre FAQ, rédigée avec Shotgun (process, délais, etc.), a été respecté, ça a été un vrai soulagement pour nous, à une époque où les difficultés s’enchaînaient. 

Certains problèmes ont pu être observés chez les distributeurs historiques, quel regard portez-vous sur ces événements ?

Shotgun : Nous ne voulons pas porter de jugement incisif sur les distributeurs historiques. On a observé ces problèmes comme tout le monde, mais nous ne pensons pas qu’il y ait des responsabilités humaines à l’origine de ces défaillances, que ça soit chez Fnac (France Billet) ou See Tickets (ex Digitick). Le problème est plus profond, d’ordre technique et infrastructurel. Il n’est pas possible, pour une solution qui utilise des technologies internet et de paiement des années 2000, d’être en mesure de gérer efficacement une telle situation dont les maîtres mots sont réactivité, flexibilité, sécurité. Cette crise a été un crash test qui a révélé l’obsolescence de ceux qui n’arrivaient pas à intégrer ces 3 critères dans leur réponse à la crise.

Nuits sonores : J’ai l’impression que la majorité des distributeurs historiques a plutôt subi la crise, et, en essayant de faire face au jour le jour, s’est vite retrouvée dépassée pendant que Shotgun, au contraire, a essayé d’être proactif et de proposer de nouvelles choses comme les avoirs, les dons partiels ou le live streaming. Alors évidemment, on ne parle pas des mêmes volumes de transactions, ni de la même gouvernance par rapport à ces multinationales, mais en tant qu’organisateur ça a été rassurant de se sentir accompagné. 

Vos opérations ont été clôturées avec succès, on imagine que vous vous tournez maintenant vers le futur, malgré le manque de visibilité indéniable. Comment voyez vous l’avenir de l’écosystème ? Pour les billetteries, les producteurs, la scène du spectacle vivant ?

Shotgun : Nous nous posons la question au quotidien : quel doit être le rôle des billetteries dans le monde de demain sachant qu’on ne sait pas encore à quoi il ressemblera ? Selon nous, la billetterie doit être la structure qui permet au producteur de se renouveler en toute sécurité, de libérer sa créativité de toute contrainte technique. En pleine tempête et sans visibilité, la billetterie est ce navire qui permet au producteur de louvoyer avec agilité et sans risque de couler. Dans notre vision, la billetterie doit aussi libérer les formats d’expression et proposer un service de live streaming réellement adapté au contenu événementiel et artistique, pour ne pas stopper la création quel qu’en soit le contexte.

Nuits sonores : Pour le moment, nous sommes totalement dépourvus de visibilité, que ce soit sur la temporalité dans laquelle nous pourrons organiser nos événements et ré-ouvrir nos lieux et sur les aides auxquelles nous pouvons prétendre. L’urgence est bien entendu de préserver nos structures et nos emplois, qui ont survécu à une année blanche mais qui pourront difficilement le faire deux années de suite. C’est pour cette raison que nous avons lancé l’Appel des indépendants en mars dernier (d’abord avec une trentaine d’autres structures, aujourd’hui 1600) pour essayer d’être audibles mais aussi d’être force de proposition face aux différentes annonces gouvernementales. Nous sommes aujourd’hui les grands oubliés du plan de relance du ministère de la culture, qui privilégie le patrimoine à la création, les grands acteurs institutionnels aux indépendants et Paris à la province. Nous militons pour la mise en œuvre d’une politique culturelle équitable et nous avons besoin d’un vrai accompagnement du ministère, financé, pour arriver à créer un avenir soutenable et désirable.

[ Crédit Photo : Marion Bornaz ]

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