Le 16 avril 2020,
Cher.e.s confrères et ami.e.s,
Nous traversons tous et toutes une période inédite et très difficile qui va certainement encore durer plusieurs mois, voire même plusieurs années, avant que le marché que nous avons connu renaisse de ses cendres. Je sais qu’un certain nombre d’entre vous sont encore en état de choc et que vos entreprises sont ébranlées. Je sais aussi que vous êtes déjà en train de vous ré-organiser pour continuer à exister.
La crise que nous rencontrons nous montre à quel point rien n’est acquis. Même les grands groupes de l’entertainment sont contraints de licencier une partie de leurs employés, et certains risquent la faillite.
Il y aura donc un avant et un après la crise, c’est certain. Et parce que dans tout mal réside un bien, ce moment est aussi une opportunité pour s’interroger sur nos modèles existants, et pourquoi pas, se réinventer. Le confinement montre bien que nos industries sont centrales et essentielles à la bonne santé de la population. Mais après ce constat, il est temps de penser à demain, aux expériences qui resteront et à leur poids économique.
Les perspectives de reprises sont pour l’heure difficiles à prévoir mais plusieurs scénarii peuvent être imaginés.
Le secteur culturel dit “public”, par ses nombreux soutiens de l’Etat, réussira à redémarrer plus facilement, malgré la réorganisation nécessaire des équipes qui prendra du temps. En revanche, le secteur dit “privé” n’est aujourd’hui pas suffisamment armé et solide pour que toutes les structures, associatives ou privées, puissent survivre à cette crise.
Dans les domaines des loisirs, des musées et plus largement du tourisme culturel, les structures pourront être soutenues par les collectivités ou les régions. Néanmoins, lors de la réouverture de ces lieux, il est fort possible que des mesures nationales et régionales empêchent les publics de se déplacer entre les différentes régions, voire les départements.
Le secteur sportif, notamment du côté du football ou des grandes compétitions, subit des remous sur ses calendriers et doit repenser son business model, complètement déséquilibré avec la perte des droits de diffusion et des sponsorships. Pour d’autres fédérations sportives moins médiatisées et moins professionnalisées, leur survie est remise en question aujourd’hui, et leur avenir face aux fédérations économiquement plus stables est incertain. Un long chantier s’annonce ces prochaines années.
Pour le secteur des concerts, l’incertitude est de mise sur l’après, au vu des inégalités entre les différentes structures, et de l’impossibilité des tournées d’artistes internationaux au vu des fermetures de frontières. La reprise devra également faire face à un problème de concentration extrême de l’offre, au vu des reports, face à une demande peu suffisante ou en tout indisponible : les salles ne pourront pas s’agrandir, les spectateurs auront perdu du pouvoir d’achat… Du côté des festivals, il y aura de la casse. Si certains arriveront à survivre une année sans édition, certains plus petits ne pourront pas faire face l’année prochaine à de nouvelles dépenses comme des mesures de sécurité sanitaires, de gestion des publics sur un même site, et de formations pour les équipes et les bénévoles. Les collectivités locales ont déjà annoncé des mesures de soutien, mais cela ne suffira pas pour couvrir l’ensemble du désastre. Enfin, la période s’annonce compliquée pour les intermittents, qui devront faire avec les aides de l’Etat et la reprise rapide ou non du marché. Le secteur devra imaginer d’autres formes d’expériences pour pouvoir faire de la place à tout le monde, permettre un redémarrage cohérent pour l’ensemble de la chaîne de valeur et permettre la rencontre tant attendue entre les artistes et les fans.
Globalement, dans tous les secteurs du divertissement, une longue période de reconstruction est devant nous. Selon différents experts internationaux, il faudrait entre 2 à 5 ans pour rééquilibrer l’économie.
Pour commencer à préparer l’après et mieux pouvoir repartir, nous devons, dès aujourd’hui, faire le deuil de nos anciens fonctionnements, pour renaître rapidement et encore plus forts. Ces dernières années, de nombreux acteurs ont profité des failles d’un système à bout de souffle. Il faut remettre en question les modèles libéraux qui n’ont que pour seuls objectifs le profit et la domination du marché. Nos excès ont déséquilibré nos entreprises et nous devons en assumer pleinement les conséquences aujourd’hui.
Plusieurs sujets mis sous le tapis émergent au grand jour par manque d’anticipation : la clarté des mandats et les irrégularités dans les conditions générales de vente des billetteries, les avances de trésorerie, le contrôle et l’accès aux données clients, la bonne gestion des encaissements et remboursements, l’application des délégations d’assurance souscrites par les producteurs d’événements, l’interprétation des législations qui ne font pas des jurisprudences, le devoir d’accompagnement, de conseil, de support technique dans toute gestion de crise, la perte de valeur de nos expertises et de l’accompagnement engendrée par une compétition commerciale qui tire les prix par le bas, le manque d’information et de représentation syndicale pour communiquer ensemble sans oublier le manque d’une déontologie professionnelles entre pairs.
Après le bilan de ces excès et dérives passés, nous devons rapidement nous interroger sur l’essentiel de nos métiers. Il faut discuter dès aujourd’hui de la sécurisation de nos contrats commerciaux et de nos assurances, pour trouver de nouvelles garanties qui incluront toutes les parties d’une même chaîne de valeur dans la réalisation d’un événement, et ainsi faciliter l’autonomie des producteurs et diffuseurs pour sortir des intermédiaires dominants qui font la loi. Nous devons mieux mutualiser nos moyens, nos données clientèles, nos savoirs-faire, pour donner le cap des prochaines années et imaginer de justes partages financiers afin que fleurissent de nouvelles entreprises et permettent à la création de reprendre ses droits. Nous devons nous prendre en main sans attendre les seules aides de l’Etat ou de l’Europe, qu’il faudra bien rembourser un jour. Nous devons nous entraider et créer de nouveaux fonds de garantie pour prévoir l’impossible, qui devient possible comme ce que nous voyons aujourd’hui.
Pour reconstruire l’après, nous devons être ensemble, et faire preuve d’attention, de cohésion et de solidarité entre acteurs du secteur. Nous devons impérativement nous regrouper pour apprendre de nos différences, nous écouter et échanger, imaginer les partenariats bénéfiques à tous, afin de construire ensemble de nouveaux modèles.
L’histoire nous regarde et nous devons aux prochaines générations professionnelles une exemplarité dans nos comportements au vu de la gravité de la situation. Nos querelles d’hier doivent laisser la place à de la bienveillance et de la solidarité, pour anticiper l’avenir selon les informations que l’on possède aujourd’hui.
Le monde change et nous nous devons d’y participer, ensemble. Je réitère aujourd’hui mon souhait, maintes fois répété, de voir tous les acteurs s’unir pour faire de grandes choses ensemble : cela est devenu à ce jour une nécessité !
J’appelle donc tous ceux et toutes celles qui espèrent depuis longtemps une transformation des modèles existants et la réinvention des manières de commercialiser des billets ; ceux et celles qui souhaitent mutualiser les services avec de l’interfaçage (ITR) entre acteurs du marché ; ceux et celles qui souhaitent faire émerger de nouvelles fonctionnalités pour créer un lien durable avec leurs communautés ; ceux et celles qui souhaitent innover en dématérialisant les événements pour pallier aujourd’hui et compléter demain les offres d’expériences existantes et ceux et celles qui souhaitent contribuer à leur hauteur, à se faire entendre.
Notre pays a besoin de ses créatifs et l’expérimentation doit être notre priorité. J’ai toujours soutenu le potentiel de nos entreprises françaises, cette fameuse “French Tick” que j’observe et anime depuis plusieurs années. De par nos contraintes juridiques, réussir en France c’est réussir ailleurs. Nous sommes d’ailleurs ceux qui avons inspiré d’autres pays au niveau législatif. N’ayons pas honte de ce que nous sommes, nous pouvons faire le pire comme le meilleur !
C’est en qualité d’observateur, d’animateur, de formateur, d’expert et aussi d’agitateur de débats de fond depuis 7 ans, que je lance à nouveau un appel à tous les prestataires, consultants, artistes, représentants professionnels, producteurs/diffuseurs, financeurs, startuppeurs, électrons libres à vous regrouper et unir vos forces. J’en appelle à la coopération interprofessionnelle. Le maître mot c’est de faire ensemble, quelque soit nos divergences et nos visions, avec respect et bienveillance, car nous devons être entendus tout en valorisant suffisamment nos demandes.
Ces derniers jours, beaucoup d’entre vous m’ont consulté pour gérer des urgences et je vous remercie de votre confiance. C’est en ces temps de crise que je prends l’engagement de sortir de mes “zones de conforts” et de changer de posture pour orienter la profession, donner un cap aux chantiers à venir et réguler le marché et ses usages.
C’est pour toutes ces raisons que je vous annonce la création d’un nouveau pôle d’activité ; “MyOpenTickets Labs”. Ce réseau de personne(s) physique(s) et/ou morale(s) ayant tout ou partie de leur(s) activité(s) dans le secteur de l’événementiel, de la culture, des loisirs et/ou de la billetterie, a pour objectif de soutenir et participer à des expérimentations de toutes natures, d’aider à l’émergence de nouveaux modèles structurels et commerciaux pour l’ensemble du secteur et de promouvoir ses porteurs, notamment par des actions d’information, de conseil et de collaboration entre ses membres.
Profitons donc de ce confinement pour faire émerger un nouvel écosystème ensemble. Mais aussi, profitons-en pour s’occuper des nôtres, en prenant le temps de retrouver des moments oubliés pour nous et pour les autres, dans ce monde parfois brutal.
Ticketement vôtre !
Eddie Aubin, président de MyOpenTickets
A propos de Eddie Aubin :
Ancien collaborateur au sein du groupe FNAC / France Billet, modérateur de débat pour le Ministère de la Culture, formateur auprès du CIFAP et de l’IRMA, intervenant à Sub de Pub, enseignant vacataire à l’Université Paris-Dauphine et Burgundy School of Business mais aussi expert invité par le CNV. Mentor auprès des incubateurs Creatis, Ionis 361 et Lincc, The Garage de Paris&Co, de l’accélérateur « Retail & E-commerce, Culture & Loisirs » de Wilco.
Eddie Aubin est rapidement devenu un expert incontournable et particulièrement apprécié dans le monde du spectacle, de l’organisation et de la billetterie comme en témoignent ses nombreuses casquettes. Il maîtrise l’écosystème de la billetterie de par sa faculté à anticiper aujourd’hui l’ensemble de ses problématiques passées, présentes et à venir. Serial entrepreneur et auteur de plusieurs études de marché ainsi que du guide-annuaire « La billetterie » aux éditions IRMA. Président fondateur de MyOpenTickets et du magazine de la filière billetterie MGBMag.fr et fondateur du Forum de la Billetterie.