De la convergence entre streaming et billetterie et ce que cela veut dire pour les artistes et producteurs de spectacles.
Il y a quelques semaines, on m’a donné carte blanche pour parler des nouveaux vecteurs de croissance dans le cadre de la journée « Musique : fin de la révolution ? » organisée par la Chaire Innovation & Régulation des Services Numériques Orange/Telecom ParisTech en partenariat avec le Ministère de la Culture et la SACEM.
Je voulais aller au-delà du débat sur la valeur d’un stream pour mettre en lumière deux tendances particulièrement importantes à mes yeux, à savoir la convergence entre streaming et billetterie, d’une part, et la lutte sans merci qui a déjà commencé autour de la captation et la gestion des droits (d’auteur et voisins) dans la chaîne de valeur de la musique. C’est sur la première que je souhaite revenir en détail dans ce billet.
Dans les semaines qui ont suivi, trois annonces majeures l’ont illustré (quoique ne concernant que les US pour l’instant), à savoir : 1/ LiveNation a commencé à vendre des billets sur Snapchat ; 2/ Facebook a lancé une appli dédiée aux seuls événements (comme Messenger l’est pour les messages privés de la plateforme) et 3/ permet désormais d’acheter des places de cinéma depuis son fil d’actu (par le biais d’un accord avec Fandango).
Quel impact potentiel pour l’industrie musicale et les artistes ?
Le marché du disque en lui-même est en déclin, tout comme l’est celui du téléchargement. Mais le plus important est de voir en quoi le marché de la musique est, lui, plus ouvert, plus mouvant, plus riche d’opportunités qu’auparavant. Il est aussi en pleine recomposition. Nous sortons d’une phase de transition d’un marché essentiellement organisé autour de l’enregistrement, dont les sources de revenus se résumaient à la monétisation de ventes à l’unité. Celles-ci ont chuté, les sources de revenu sont plus nombreuses mais plus faibles très souvent.
Si les efforts des labels pour amortir leurs investissements en lorgnant du côté du live ne datent pas d’hier, deux nouveaux éléments revêtent cette tendance d’une importance encore plus stratégique : la billetterie et le streaming.
On le sait : le streaming donne accès à des données très précises sur les goûts des fans de musique : géographie, titres, nombre de personnes par mois, playlists…
Mais l’omniprésence de la billetterie et son potentiel important dans cette équation est tout à fait sous-estimé. Or elle cristallise plusieurs problématiques : contrôle d’accès, CRM, marketing, commercial et financier (offres groupées et augmentation du panier moyen dépensé par chacun pendant les événements, déploiement croissant du cashless). La billetterie devient surtout de plus en plus fréquemment un moyen de revitaliser l’ensemble de l’expérience live (avant, pendant, après l’événement).
En 2014, 51% des Américains ont acheté des places de concert d’artistes après les avoir découverts sur une plateforme de streaming.
La convergence entre billetterie et streaming permet d’accéder à de la data particulièrement qualifiée. Cette masse d’informations permet d’orienter voire optimiser des choix qui se faisaient plus à l’instinct auparavant.
– Les décisions artistiques : influence la découverte d’artistes, affine la recommandation sur la base de goûts des abonnés, impacte la programmation et donne de la visibilité aux artistes et salles de taille moyenne.
– Les arbitrages financiers : dope les ventes de billets, fournit des données précieuses aux agents/promoteurs et aux salles de concert pour mieux évaluer le potentiel et ROI (retour sur investissement) des dates et artistes qu’ils bookent (nombre de dates par lieu, taille de la jauge, montant des cachets…). Les marges dans le spectacle vivant sont plus élevées que le streaming et peuvent, par le biais de cette convergence, se faire à plus grande échelle encore.
En toile de fond, les mouvements s’accélèrent dans ce secteur et les alliances stratégiques se multiplient.
Pandora a racheté Ticketfly pour $450M : si les sites de billetterie concurrents ont toujours droit de cité dans à la plateforme, Ticketfly bénéficiera d’une meilleure exposition avec l’intégration de ses liens d’achat à l’intérieur de l’appli pour réduire la « friction » et les abandons de panier.
Songkick (site de recommandation de concerts sur une base des goûts et la localisation géographique des fans) de son côté a conclu un deal avec Spotify, afin d’afficher les prochains concerts sur le profil de chaque artiste, et fusionné avec Crowdsurge (site de billetterie permettant aux artistes de vendre directement à leurs fans) avec le double objectif très clair d’aider les artistes à améliorer leur ‘découvrabilité’ et de mieux gagner leur vie par le live (moins d’intermédiaires, donc plus dans leur poche).
Sans aller jusqu’à croire la rumeur récente selon laquelle Facebook pourrait racheter Spotify, le plus gros réseau social du monde n’est pas en reste côté billetterie : avant même ses deux récentes annonces évoquées plus haut, il expérimente, depuis quelques mois, la vente de billets depuis les ‘Evénements’ (Facebook Tickets) dans le cadre de partenariats noués avec Ticketmaster et Eventbrite.
La suite ?
Ces mouvements promettent de prendre de l’ampleur dans les mois à venir. Les enjeux (financiers et promotionnels) de la convergence entre streaming et billetterie sont donc majeurs pour les artistes et producteurs de spectacles (notamment dans la lutte contre le marché noir, mais ce sujet mériterait de faire l’objet d’un billet à lui seul).
Reste à savoir s’ils pourront en rester les principaux bénéficiaires à terme ou de quelle manière les plateformes, qui opèrent à échelle mondiale, chercheront à leur imposer leurs conditions au nom des services rendus (on commence à connaître la chanson maintenant…). La nécessité de parler d’une même voix pour les artistes n’en est que plus pressante : la GAM et l’IAO l’ont bien compris et ont encore de belles luttes devant eux.
Crédit photo : Biltz – Article initialement publié sur Medium