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Etudes et Enquêtes

Les entreprises de spectacles : Situation économique et emploi

La variet’ fait ses comptes

Le spectacle vivant de variétés est chaque année scruté par le département ressource/ observation du CNV, qui produit des données chiffrées à partir des déclarations des structures s’acquittant de la taxe sur la billetterie de spectacle. Cette année, l’établissement a décidé de mettre la focale sur les entreprises, leurs spécificités et leurs difficultés, dans un environnement économique difficile.


« Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images » Guy Debord, La société du spectacle


Démarrer un article qui traite d’enquêtes statistiques sur le spectacle vivant de variétés par une citation détournée de Guy Debord peut surprendre. Nulle malice à cela, si ce n’est de préciser en préambule que les études et analyses chiffrées, tout aussi précises et exhaustives qu’elles puissent être, ne peuvent permettre de saisir la totalité de l’essence de l’objet patiemment disséqué. Mais tout de même, elles sont un précieux et incontournable jalon dans l’appréhension, l’affirmation et la reconnaissance d’un secteur d’activités.

Spectacle vivant : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

Première des vertus des études chiffrées, disposer de données descriptives fort utiles pour savoir un peu mieux à qui l’on a affaire ! Sans rentrer dans le détail de ces éléments descriptifs, l’on constate par exemple la prédominance des entreprises sans lieu fixe (29% de producteurs/entrepreneurs de tournées, 17% de producteurs/diffuseurs/promoteurs locaux, 8% de collectifs d’artistes/compagnies). De même, 54% des structures étudiées sont sous forme associative, forme majoritaire pour les festivals (90%) et 41% sont constituées en sociétés commerciales, forme majoritaire (plus de 80%) pour les producteurs nationaux/entrepreneurs de tournées. Mais nous le verrons, la répartition en termes économiques ne suit pas la même logique que la typologie des types de structures.

Une autre caractéristique générale intéressante est la relative jeunesse des entreprises du secteur. En effet, 48% ont moins de 10 ans. Signe de vitalité d’un secteur en ébullition permanente, ou constat d’un turn over important lié à de fréquentes disparitions ? « Un peu des deux » selon Jacques Renard, directeur du CNV : « la précarité peut décourager un certain nombre de porteurs de projets ou de chefs d’entreprise. Mais ces naissances récentes et régulières montrent la vitalité d’un secteur qui a commencé à se développer surtout à partir des années 1980. » Depuis une trentaine d’années, les musiques actuelles sont effectivement ancrées dans un processus de professionnalisation croissante, avec un développement des initiatives privées et publiques, et un essor de la vie associative.

Le secteur de la musique enregistrée est en crise, tout le monde le sait. La vision du spectacle comme un moyen de maintenir une filière musicale en difficulté, par les stratégies de diversification verticale du disque, s’est largement répandue. Est-ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes du spectacle vivant de variété ? Qu’il se porte suffisamment bien pour servir de béquille ?

Premier élément à relever, le place importante qu’occupent les spectacles de variété dans le champ du spectacle vivant. Ainsi, en 2010, le chiffre d’affaires estimé des entreprises de spectacles de variétés atteindrait de 1,2 à 1,8 milliard d’euros, soit plus de 30% des seules activités marchandes de spectacle vivant. Ce chiffre d’affaires progresse d’ailleurs de 14% à 19% sur la période 2008-2010, avec une croissance nettement plus forte des recettes de billetterie que des autres produits du spectacle.

Si l’on considère la structure de l’emploi, on constate que les entreprises de spectacle de variétés présentent un fort taux de recours à l’emploi salarié (89% des entreprises, dont 69% de façon permanente). Au total, 1600 entreprises affiliées au CNV déclarent de 330 à 390 millions d’euros de salaires bruts par an pour des effectifs totaux employés de 16 000 permanents et de 60 000 intermittents. Parmi ces entreprises, celles ayant pour activité principale le spectacle vivant représentent 7% des entreprises, 25% de la masse salariale, 25% des effectifs permanents et 34% des effectifs intermittents identifiés par le groupe Audiens.

Un chiffre d’affaires global en hausse, une augmentation du nombre d’emplois, le spectacle vivant de variétés pourrait apparaître comme vertueux. Mais « la bonne tenue des chiffres s’explique aussi par l’élargissement de l’assiette de la taxe, que ce soit par des structures qui ne payaient pas la taxe auparavant ou par les nouvelles salles » rappelle Pascal Chevereau. Si une analyse macro dessine un profil avantageux, elle donne une vision en trompe l’œil, mais « cela ne masque pas la réalité de plus en plus difficile des entreprises de spectacle » poursuit le président du SMA.

Disparités et difficultés

Le spectacle vivant de variétés est avant tout un secteur marqué par de fortes disparités. Ses contours font le grand écart entre des sociétés commerciales de grande taille et de petites structures n’ayant pas le spectacle comme activité principale. « Les associations par exemple, qui comptent pour 47% des représentations, ne totalisent que 16% de l’assiette de perception de la taxe »souligne ainsi le secrétaire général du Snam-CGT (Syndicat national des artistes musiciens) Marc Slyper. Les chiffres de la diffusion 2011 montrent également le poids des plus grosses productions dans les chiffres économiques globaux. Ainsi, l’on dénombre en moyenne 497 entrées par représentation, pour un prix moyen de 32 euros. Mais la médiane se situe elle autour de 200 entrées et de 13 euros par entrée. Les problématiques sont donc diverses, les faisceaux de causes multiples. Comme le note Jacques Renard, « pour les petits et moyens projets/structures, le problème principal réside dans la difficulté à rencontrer leur public. Leur fréquentation, et donc leur billetterie, sont en stagnation, voire en régression. »

En effet, si les structures les plus importantes s’en sortent, participant ainsi activement de l’augmentation du chiffre d’affaires global de 14% sur la période 2008-2010, le sort des moyennes structures n’est pas aussi rose, et leur chiffre d’affaires s’érode. Le taux de rentabilité commerciale baisse, tout comme le résultat d’exploitation pour 43% des entreprises. « Cela montre bien la fragilité intrinsèque du secteur du spectacle vivant, qui rejoint le phénomène de précarisation des artistes. »(Jacques Renard)

Et si pour l’ensemble du secteur, le résultat d’exploitation s’accroît plus fortement que le chiffre d’affaires, il se dégrade pour 47% des entreprises étudiées. Ce phénomène est à mettre en grande partie en relation avec la hausse des charges d’exploitation. Pour la majorité des entreprises, la capacité d’autofinancement se dégrade, en particulier pour les petites structures (moins de 250 000 euros de produits totaux), qui enregistrent une baisse de leur chiffre d’affaires.

Autre indicateur de la situation dégradée d’une partie des entreprises de spectacle de variétés, leur taux de rentabilité commerciale ne s’est accru que très modérément entre 2008 et 2010, pour atteindre 3%. Ce niveau faible s’explique par une baisse de la rentabilité pour une majorité des entreprises intermédiaires, celles dont le total des produits est compris entre 250 000 et 500 000 euros. Là encore, la santé des « champions » tire les résultats vers le haut.

Le contexte actuel de crise économique a également des retombées sur les subventions publiques, qui représentent en moyenne 17% et ont baissé de 11%. Cette baisse impacte directement la santé financière des structures. Comme le résume Pascal Chevereau, « après plus de 20 ans de structuration des musiques actuelles, on est très loin du niveau de subventionnement des autres secteurs culturels. On est sur des montants très faibles. Dans le contexte actuel de crise qui veut que l’on fasse tous des efforts, nous ne partons pas du même point. » De plus, cette fluctuation des sources de financement se conjugue avec une hausse des charges (+30% pour les contrats de prestation, +39% pour les charges de communication).

Un emploi qui augmente…et se dégrade

Les difficultés rencontrées par les structures de spectacles de variétés ont un impact sur l’emploi dans le secteur. Et celui-ci apparaît contrasté. Ainsi, entre 2008 et 2010, les entreprises de spectacle de variétés ont accru leur volume d’emploi salarié (10% pour les permanents – CDI et CDD – et 20% pour les CDDU – artistes et techniciens -), mais sans pour autant augmenter la masse salariale. La raison : une baisse du niveau horaire moyen de rémunération. En clair, les conditions d’emploi se dégradent. En ce qui concerne les artistes musiciens, Marc Slyper explique : « On était jusqu’à il y a quelques années dans un contexte qui permettait la négociation de gré à gré du montant de la rémunération, selon la réputation de l’artiste. Négociation certes limitée, mais existante. Aujourd’hui, la norme est plutôt de se rapprocher des minimas conventionnels. »

Autre élément à prendre en compte pour expliquer les spécificités de l’emploi dans le spectacle vivant de variétés : la mise en place de conventions collectives, difficiles à appliquer pour les employeurs. Pour Marc Slyper, « cela a créé des contraintes objectives, et entraîne des surcoûts difficilement assimilables par les petites structures. » Le constat est le même pour Pascal Chevereau. « La plupart des structures n’arrivaient déjà pas à être dans les clous, alors avec des coupes dans les subventions, on ne peut pas faire mieux ce que l’on faisait mal avant. » Autre effet pervers, « cela se traduit par une moins grande prise de risque et un maintien des seuls spectacles qui marchent le mieux, au détriment de la diversité. »

Un secteur en concentration

Dans un secteur économique en tension, il n’est pas rare d’observer des mouvements de concentration qui suivent les foisonnements des périodes fastes. Le spectacle vivant de variétés n’échappe pas à la règle. Car concentré, il l’est sur plusieurs aspects.

Tout d’abord, d’un point de vue géographique. En cela, il est tributaire de la tradition centralisatrice française, même si les lieux de diffusion émaillent l’ensemble du territoire, (cf. les inaugurations régulières de salles de musiques actuelles). Ainsi, plus du tiers des entreprises a son siège social en Ile de France, avec une concentration majoritaire des producteurs nationaux/entrepreneurs de tournées (61% dans la région capitale). Le nombre de salles, de spectacles, de producteurs, voire d’artistes, les publics, font que Paris concentre une grande part de la vie artistique et culturelle, mais le rapport Paris/régions est stable. « Après, les évolutions des régions sont liées aussi à des événements conjoncturels. Certaines régions, comme la Bretagne, Rhône-Alpes, le Nord-Pas-de-Calais, ou Paca, sont traditionnellement bien positionnées sur les spectacles de variétés. Les variations annuelles se font sur le passage ou la tenue ou non en région de grands événements. Par exemple, en Auvergne, pour 2011, la hausse s’explique par le passage de grands spectacles de chanson française ou d’humour et l’ouverture du cabaret Le Moulin Bleu à Thiers (63), en Lorraine par la création du festival Sonisphère, etc. » précise Jacques Renard.

Mais là où le mouvement de concentration pose le plus de questions, c’est bien évidemment dans sa dimension économique. Le chiffre est explicite : 6% des entreprises de spectacles de variétés (dont les produits totaux dépassent les 5 millions d’euros) génèrent 61% du chiffre d’affaires total, 63% des recettes de billetterie, 80% des produits des contrats de cession, de coproduction ou de prestations liées au spectacle. Comme le souligne Jacques Renard, « le processus de concentration est réel ».

L’année 2011 n’échappe pas à ce constat, avec le maintien d’une forte concentration, que ce soit par spectacle, par déclarant ou par lieu. Ainsi, les sociétés commerciales représentent 77% de l’assiette de perception (pour 47% des représentations), alors que les associations et le secteur public totalisent 53% du nombre de représentations (et donc que 23% de l’assiette de perception). La concentration s’observe également sur les événements d’ampleur. Ainsi, les représentations de plus de 1500 entrées totalisent 48% de la fréquentation et 59% de la billetterie en 2011. Mais pour limiter les mouvements de concentration, les moyens d’action ne sont pas légion. « Il existe une législation spécifique pour le cinéma, dans le domaine de la presse et de l’audiovisuel, peut-être en faut-il une pour le domaine du spectacle vivant », s’interroge Jacques Renard.

Historiquement, le secteur du spectacle vivant était moins concentré économiquement, avec une typologie d’acteurs faite de petites et moyennes entreprises. L’arrivée ces dernières années de grands groupes étrangers a changé quelque peu la donne. Pour Jacques Renard, « c’est une question qu’il faut absolument traiter, sans dénier le droit à ces entreprises de se développer et de développer leur activité sur le territoire français. »

Observation et ressource, la question des données

Le travail d’observation effectué par le CNV permet de bénéficier de données précises et fournies. Celui-ci est d’ailleurs largement salué, tant par les professionnels que par les universitaires. Cependant, la vision du secteur qu’il offre ne peut être exhaustive, les données ne concernant que les structures s’acquittant de la taxe. Ainsi, comme l’explique Marc Slyper, « pour toutes les petites entreprises de production monoartistes qui signent un contrat de cession, c’est la salle qui s’acquitte de la taxe. Ces petites structures n’apparaissent pas dans la billetterie qu’elles génèrent. Pour avoir une vue claire, il faudrait croiser toutes les données dont on dispose avec l’intégralité des contrats de cession, ce qui est impossible. »

Malgré ces relatifs bémols, il convient de rappeler que ce travail de production de données chiffrées est assez singulier et n’a que peu ou pas d’équivalent à l’étranger.« Nous n’avons que peu de données économiques à l’international » regrette ainsi Jacques Renard. « Nous souhaiterions pouvoir mener des études et des analyses comparatives, sans se substituer aux acteurs locaux dans la production de bilans chiffrés annuels ». L’éclatement des frontières, tant dans le domaine du spectacle que dans celui de la musique enregistrée, entraîne un besoin d’indicateurs chiffrés plus nombreux et plus précis, afin d’appréhender les évolutions d’un marché dont les contours ne se superposent pas à ceux des États. Pour Jacques Renard, « ces questions doivent être posées au niveau européen. »

Produire des chiffres est une des composantes essentielles de la ressource. Cela permet de nourrir l’analyse et la réflexion sur un secteur donné. C’est une base sur laquelle il est possible de s’appuyer pour construire les politiques ou les actions à mettre en œuvre pour structurer et pérenniser les activités. Pour obtenir une représentation encore plus fine, les données produites sur les variétés gagneraient à être croisées avec celles des autres secteurs du spectacle vivant (théâtre, danse…). Jacques Renard rappelle que « le ministère de la Culture a initié une réflexion sur un observatoire du spectacle vivant, mais qui n’en est qu’au stade de l’étude. Il serait souhaitable d’harmoniser la quantité d’études ponctuelles et/ou sectorielles qui sont réalisées dans le champ du spectacle vivant. »

De même, croiser ces données avec celles disponibles sur la musique enregistrée permettrait d’approfondir l’observation, et ainsi mieux appréhender et accompagner les mutations complexes à l’œuvre dans l’écosystème musical. Comme le conclut Jacques Renard, « pour le croisement avec les données musique enregistrée, c’est ce qui était aussi en jeu avec la création d’un Centre national de la musique. Il faut examiner avec tous comment cette exigence peut être reprise, afin que la filière musicale dispose d’une vision cohérente d’ensemble. »

Source : Irma et CNV

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